1.14
14. La pensée a un impact plus grand encore que celui de la parole.
Il
en va également de même de l'impact sur les mondes supérieurs par
le vecteur de la pensée.
Le roi David, que la paix soit sur lui, a écrit : « Il a
formé leur cœur à tous, et Il observe tous leurs actes (El
kol ma'asséhem. (1))
Le verset aurait dû dire : « qui observe tous leurs
actes. » On a expliqué [la présence du terme « El »
apparemment superflu] au chapitre 12 comme faisant référence au
vecteur de l'action. Mais on peut également le relier au moyen de la
pensée (מַחְשָׁבָה).
Il est ainsi possible que deux personnes commettent la même faute et reçoivent pourtant une sanction différente. L'un d'eux, en effet, a de plus grandes capacités intellectuelles et une perception plus aiguë, du fait que la racine de son âme provient d'un niveau plus élevé que celle de son prochain. Le dommage causé dans les mondes supérieurs atteint le niveau de la la racine de l'âme [il est donc différent d'une âme à une autre], et la sanction est proportionnelle au dommage causé.
Comme il est écrit : « Celui qui cause des destructions dans les royaumes inférieurs endommage aussi les royaumes supérieurs, là où son âme a été formée. (2) »
« Quand une personne commet une faute, cette faute s'élève jusqu'au lieu où son âme a été formée selon son niveau, et le châtiment est en proportion de ce niveau. (3) »
Comme l'enseigne le Arizal (4)...
On ne peut comparer celui qui souille la cour du Roi, celui qui salit le palais du Roi, et encore moins le trône du Roi, les vêtements royaux, et même sa couronne.
Certes, plus élevé est le niveau de monde, moins la faute a le pouvoir d'endommager et de produire un effet. Pour autant, la sanction est tout de même plus grave.
C'est que celui qui est chargé d'entretenir la couronne du Roi sera considéré comme infiniment plus coupable s'il laisse ne serait-ce qu'un grain de poussière, que celui qui doit nettoyer la cour et y laisse un tas de déchets.
Il y a une infinité de niveaux de « jugements de vérité de HaShem (5) », où sont distinguées les sanctions, en fonction du niveau de destruction de la racine de son âme, et du niveau de monde dans lequel elle a été formée.
La sanction imposée à deux personnes sera différente du fait de la différence de leurs pensées au moment où s'est commise la faute, et le dommage causé aux mondes sera également fonction des pensées [de leurs esprits] au moment de la transgression.
Il est certain que si l'on relie davantage de pensées à la faute, on méritera une sanction plus grave, puisque le dommage atteindra les mondes supérieurs, D. nous en garde.
C'est pour cela que celui qui faute involontairement est sanctionné moins sévèrement que celui qui faute intentionnellement. Ḥazal enseignent à ce sujet : « Les pensées de faute sont pires que la faute elle-même. (6) »
C'est le sens de ce qui est écrit : « Il a formé leur cœur à tous » (c'est-à-dire qu'Il voit les pensées de leurs cœurs tous ensemble) (7) , « et Il observe El tous leurs actes » ce qui signifie que le Créateur suprême voit et comprend toutes les pensées de leurs cœurs qui sont reliées à leurs actions, et Il juge chacun selon les pensées de son cœur au moment de la faute.
De même, le Roi Shelomo a enseigné : « En effet, toutes les actions, Éloqim les appellera devant son tribunal, même celles qui sont entièrement cachées, [qu'elles soient bonnes ou mauvaises.] (8) », ce qui signifie qu'outre la sanction pour la faute elle-même, Ha Qadosh Baroukh Hou prendra en considération dans Son jugement la totalité de l'acte fautif, y compris les pensées cachées liées à cet acte.
Il est également écrit : «HaShem a fondé la terre par la sagesse ; par l'intelligence, il a affermi les cieux. Par sa science, les abîmes s'entrouvrent. (9) » Ce verset inclut tous les mondes, « la terre » pour les mondes intermédiaires, « les cieux » pour les monde supérieurs et « les abîmes » liés aux mondes inférieurs. Et on lit au verset suivant : « Mon fils, ne les laisse pas dévier (יָלֻזוּ) à tes yeux. (10) » Les yeux (la vue), pour de nombreuses sources, sont associés à la pensée, comme dans « mon cœur a acquis (littéralement « a vu ») [un grand fonds de discernement et d'expérience. (11)] » ou encore : « Le sage a ses yeux dans la tête. (12) »
On trouve l'expression « wéiyalizou » (dévier) dans la Mishna, avec le sens de pensée déformée, comme il est dit : « Il est perverti et tordu avec son Père du Ciel au-dessus de lui. (13) »
Le sens de ces versets est le suivant : mon fils, prends en pitié tous les précieux mondes qui ont été créés avec sagesse, intelligence et science (da'at – connaissance), et prends garde de ne pas agir en sorte de les faire dévier et les corrompre, ḥas veShalom, ne serait-ce que par une seule pensée inappropriée.
Les trois niveaux de l'action, de la parole et de la pensée correspondent directement avec les niveaux de l'âme humaine que sont Néfesh, Rouaḥ et Neshama.
L'action vient du niveau de Néfesh, comme il est écrit : « Et une âme (Néfesh) qui fera (14) » et « les âmes (Néfashot) qui agiront ainsi (15) » et beaucoup de versets semblables.
« Car le sang est le Néfesh (16) », le Néfesh réside dans le sang de l'homme et s'en revêt. Il se tient principalement dans le foie, qui est principalement fait de sang. Le sang est distribué dans toutes les parties des membres du corps, les instruments de l'action. C'est ce qui leur donne l'énergie et le mouvement, et la capacité d'agir et d'accomplir ce qui est en leur pouvoir.
Si un membre donné ne reçoit pas la distribution de sang dont il a besoin, il se nécrosera, sera paralysé et incapable d'action. C'est un membre mort.
La parole vient du niveau de Rouaḥ, comme il est écrit : « L'esprit (Rouaḥ) de HaShem parle par ma bouche (17) » ou bien « par le souffle (Rouaḥ) de Ses lèvres. (18) »
C'est ainsi que Onqélos traduit le verset : « et l'homme devint un Néfesh Ḥaya » comme « un esprit (Rouaḥ) parlant. (19) »
Par ailleurs, il est évident que chaque parole proférée vient de la bouche d'une personne à travers le Rouaḥ et le souffle de la parole.
La parole réside principalement dans le cœur, car l'origine du souffle de la parole provient essentiellement du cœur.
La pensée, quant à elle, vient du niveau de Néshama, car c'est elle qui enseigne à une personne la connaissance et la compréhension de la Torah de Sainteté.
Sa résidence principale est donc le cerveau, instrument de la pensée.
C'est le plus élevé de tous ces niveaux.
Comme le disent Ḥazal : « Il y a cinq parties [de l'âme : Néfesh, Rouaḥ, Neshama, Yéḥida et Ḥaya.] Néfesh, c'est le sang. Rouaḥ s'élève et redescend. Néshama est le caractère de la créature. (20) » c'est-à-dire la connaissance et la pensée, comme l'expliquent Rashi et le Sefer haAroukh (21).
1 Téhillim – Psaumes 33,15 « הַיֹּצֵר יַחַד לִבָּם; הַמֵּבִין, קֵל-כָּל-מַעֲשֵׂיהֶם ». Voir une autre interprétation de ce verset au chapitre 12.
2 Tiqounéi Zohar Tiqoun 43 82b.
3 Tiqounéi Zohar Tiqoun 70 124a.
4 Sha'ar haYiḥoudim, au début de Tiqoun Avonot : « Le concept fondamental de Téshouvah, c'est le retour du « ה » (tashouv Hé). Sache que l'homme est composé de tous les mondes, et même s'il ne mérite qu'une âme provenant du monde de 'Assiyah (le monde de l'action), il est tout de même en capacité de les recevoir tous. La différence est que l'âme d'une personne qui mérite une âme provenant du monde de 'Assiyah est composée (comme c'est le cas général) de 248 membres et 365 nerfs, et que lorsqu'elle faute, elle endommage l'un des 248 ou des 365. Mais si son âme provient d'un niveau plus élevé, Yétsirah, Bériyah ou Atsilout, selon le niveau de la grandeur [de cette âme] le dommage sera en proportion de sa faute.
C'est le pouvoir de l'homme selon ses actes, et il devra se repentir [à un niveau proportionnellement supérieur si son âme provient de] Bériyah ou Atsilout. C'est le sens du verset : « ]Parole de HaShem qui a déployé les cieux, fondé la terre et] formé l'esprit qui anime l'homme. » (Zékhariah 12,1) Par conséquent, lorsque Adam a fauté, le dommage causé En-Haut a été considérable, en proportion de la grandeur de son âme, qui était composée tous les mondes. Et c'est pour cela qu'un homme pieux et juste [est confronté] à une inclination au mal correspondant à sa grandeur, comme l'enseignent Ḥazal : ''Celui qui est plus grand que son prochain, son penchant au mal est également plus grand.'' (Souccah 52a)
''[Au jour du bonheur, sois content; et au jour du malheur,] considère que Éloqim a fait correspondre l'un à l'autre.'' (Qohélet 7,14) Et de même qu'il existe sept chambres dans les niveaux de Yétsirah, Bériyah et 'Assiyah, il existe l'équivalent du côté des kelipot... [Le Arizal explique ensuite que le niveau de Téshouvah requis correspond au niveau de la faute par rapport au niveau de la source de l'âme du fauteur.] »
Dans le Pri Ets Ḥayim (chapitre 1 de l'introduction du Sha'ar haShabbat) le Arizal enseigne que les niveaux de l'âme d'une personne sont élevés le jour du Shabbat de telle manière qu'un passage s'ouvre aux niveaux les plus bas qui connaissent cette élévation. Si bien que les actes interdits le Shabbat peuvent causer de terribles dégâts en s'introduisant dans cette ouverture. Un jour de semaine, un tel phénomène ne pourrait pas se produire. « Celui qui accomplit un travail [interdit] le Shabbat permet aux kelipot de s'introduire dans le royaume de la Sainteté, d'atteindre la source de son âme. C'est pour cela qu'il est passible de la peine de mort, puisqu'il permet au kelipot de souiller le Sanctuaire de HaShem, D. nous en préserve. »
Le Sefer haHilgoulim (chapitre 2) écrit : « Et quand les âmes et la Shékhina se manifestent en eux [c'est-à-dire les forces d'impureté], elles provoquent certainement une grand épanchement. Dès lors, tout leur but est d'entraîner Israël à la faute, pour amener à [ces forces] les âmes et la Shékhina. Et il est évident que plus grand est le niveau de Sainteté de l'âme, plus grand est l'effet de cet épanchement. Plus grand et précieux est le niveau de l'âme, plus puissant est le projet des forces d'impureté de la faire fauter, et entrer dans les profondeurs des kelipot. C'est pour cela que la plus grande part de klipot résident avec les Ḥakhamim (les Sages de la Torah) , et qu'il leur est ''interdit d'aller seuls la nuit'' (Berakhot 43b). C'est également l'idée de Ḥazal : ''Celui qui est plus grand que son prochain, son penchant au mal est également plus grand.'' (Souccah 52a)
5 Citation stylistique de Téhillim – Psaumes 19,10 : « מִשְׁפְּטֵי-ה׳ אֱמֶת »
6 Yoma 29a
7 Rosh haShana 18a sur Téhillim 33,15. Rashi écrit au sujet de ce verset : « Il a formé leur cœur ensemble : Leur cœur à tous ensemble et Il connaît toutes les pensées. Nos Maîtres l'ont relié à (verset 14) : ''Depuis la résidence où Il siège, le Créateur observe leur cœur [à tous] ensemble'' et ils ont déduit de là que tous sont embrassés d'un seul coup d'œil. »
8 Qohélet – Ecclésiaste 12,14.
9 Mishléi – Proverbes 3,19-20 : «ה׳-בְּחָכְמָה יָסַד-אָרֶץ; כּוֹנֵן שָׁמַיִם, בִּתְבוּנָה. כ בְּדַעְתּוֹ, תְּהוֹמוֹת נִבְקָעוּ »
10 Ibid. 3,21 : « בְּנִי, אַל-יָלֻזוּ מֵעֵינֶיךָ »
11 Qohélet – Ecclésiaste 1,16 : « וְלִבִּי רָאָה הַרְבֵּה, חָכְמָה וָדָעַת »
12 Qohélet – Ecclésiaste 2,14 : « הֶחָכָם עֵינָיו בְּרֹאשׁוֹ »
13 Mishna Kilayim 9,8 (au sujet du Sha'atnez – mélange de laine et de lin dans un même vêtement.)
14 Bamidbar – Nombres 15,30 : « וְהַנֶּפֶשׁ אֲשֶׁר-תַּעֲשֶׂה »
15 Wayiqra – Lévitique 18,29 : « וְנִכְרְתוּ הַנְּפָשׁוֹת הָעֹשֹׂת »
16 Devarim 12,23 : « כִּי הַדָּם, הוּא הַנָּפֶשׁ »
17 II Shmuel – II Samuel 23,2 : « רוּחַ ה׳, דִּבֶּר-בִּי » (Il s'agit des dernières paroles du Roi David.)
18 Yéshayahou – Isaïe 11,4 : « וּבְרוּחַ שְׂפָתָיו »
19 Béréshit – Genèse 2,7 « וַיְהִי הָאָדָם, לְנֶפֶשׁ חַיָּה »
20 Béréshit Rabba 14,9.
21 Composé à Rome au 11è siècle par Natan ben Yehiel, le Sefer haA'roukh est un glossaire exhaustif de la littérature rabbinique, souvent cité par les commentateurs médiévaux et plus tardifs. Rabbi Ḥayim fait référence à l'entrée « Néfesh » du Séfer.