YITHRO 5778
Éloge du compromis
אִם אֶת-הַדָּבָר הַזֶּה, תַּעֲשֶׂה, וְצִוְּךָ אֱלֹהִים, וְיָכָלְתָּ עֲמֹד; וְגַם כָּל-הָעָם הַזֶּה, עַל-מְקֹמוֹ יָבֹא בְשָׁלוֹם
« Si tu fais cette chose-là, Éloqim t'ordonnera, tu pourras te maintenir, et aussi tout ce peuple-là arrivera en paix à son endroit. »
Shemot 18,23
C'est ainsi que Yithro termine l'exhortation adressée à son gendre, et ses suggestions pour alléger le fardeau de Moshé. Après avoir détaillé le système juridictionnel qu'il souhaiterait voir appliqué, il indique l'avantage que Moshé peut attendre de ces innovations.
Rashi enseigne au nom de la Mekhilta : « Consulte le Tout-Puissant. S'Il t'ordonne d'agir ainsi 'tu pourras te maintenir'. Et s'Il s'y oppose, tu ne pourras te maintenir », et ton projet n'aboutira pas.
Le Rav Munk rapporte un enseignement voisin : la formule « Éloqim t'ordonnera » est une allusion au principe 'Gadol métsouvé vé'osséh' : celui qui agit sur ordre divin est plus grand que celui qui agit de son propre chef, et ne fait qu'obéir à son idée ou son goût personnel. Si tu adoptes cette voie, non dans le seul but de soulager ta charge, ou pour suivre ta conviction personnelle, mais pour accomplir la Parole divine, alors « tu pourras te maintenir ».
Le Sfat Emet propose une alternative. Peut-être le verset tout entier fait-il en réalité la liste des avantages du système proposé par Yithro. Il appelle l'attention de Moshé sur trois conséquences.
La première, c'est que « Éloqim t'ordonnera ». Moshé disposera de davantage de temps, et pourra recevoir plus d'ordres directs de Hashem dans le domaine de la Torah orale.
Moshé notre Maître est ainsi appelé à cause de son talent absolument unique pour les raisonnements qui aboutissent aux conclusions halakhiques les plus subtiles. La Torah nous apprend qu'il se retirait souvent dans le Ohel Mo'ed (la « Tente des rencontres fixées » selon la traduction du Rav Shimshon Raphaël Hirsch), le lieu où se manifestait la Shékhina (la Présence divine), pour revenir sur ce qu'il avait appris. Il pouvait y recevoir de nombreux détails de la Halakha, qu'il serait donc en mesure de transmettre au 'Am Israël, et dont une partie est parvenue jusqu'à nous, Barukh Hashem, par l'entremise des Maîtres de la Mishna et de la Guémara.
Disposer de plus de temps pour étudier était donc, incontestablement, un grand avantage. Un leçon d'autant plus grande pour nous que nous ne recevons pas la Torah directement de la bouche de D.ieu...
En second lieu, Moshé pourrait « se maintenir », en mettant en œuvre le programme de son beau-père. Le poids de la responsabilité communautaire s'en trouverait allégé.
Enfin, et d'une manière plus évidente encore, « tout ce peuple-là arrivera en paix à son endroit ». Chacun pourra retrouver sa tente en paix, sans avoir à piétiner des heures dans une file d'attente pour obtenir une réponse à ses questions. Les Juifs ont toujours des questions. Les Juifs sont un Peuple de questions !
Mais le Sfat Emet ne se contente pas de ce pshat (de ce sens immédiat). La Guémara (Sanhédrin 6b) enseigne :
« Rabbi Eliezer fils de Rabbi Yossé haglili a dit : il est interdit à un juge de rendre une décision de compromis, et tout juge qui [agit ainsi] est un fauteur. [...] et plutôt 'Que la justice perce la montagne' comme il est dit : 'Car la justice est à D.ieu' (Devarim 1,17). » Autrement dit, que l'on juge d'après la Loi stricte, et que le juge ne se laisse pas intimider par « la montagne », image d'un plaideur implacable. C'est ainsi que s'exprime Moshé.
Mais, continue la Guémara, « Aharon aimait la paix et poursuivait la paix, et faisait la paix entre un homme et son prochain, comme il est dit (Malakhi 2,6) : 'Une Tora de vérité dans sa bouche, aucune iniquité ne s'est trouvée sur ses lèvres ; il a cheminé devant Moi en paix et en droiture, et beaucoup, par lui, sont revenus du crime.' »
C'est un passage assez curieux. D'où les 'Hakhamim savent-ils que la rigueur dans le Din était la Mida de Moshé Rabbénou ? Comment peuvent-ils bannir le compromis, alors que la Halakha impose de presser les plaignants de parvenir à un accord plutôt que de recourir à l'application stricte de la loi ?
« Tout ce peuple-là arrivera en paix à son endroit ». Yithro prédit que, si l'on tient compte de ses suggestions, une ère de paix s'ouvrira pour le Peuple. Il parle de juges qui ne sont pas des experts accomplis en matière de loi. De tels juges auront besoin du conseil d'autrui, avant de rendre des décisions. Yithro suggère qu'ayant reçu une part de l'autorité de Moshé, la plupart de ces juges seront enclins à rechercher le compromis, ce qui favorisera la paix dans la communauté.
Là n'était pas la manière de Moshé. Il « perçait la montagne avec le Din » ! À peine avait-il entendu les revendications contradictoires de deux plaignants qu'il était capable de dire le droit sans hésitation ! Car s'il est vrai que la Halakha favorise la recherche du compromis entre les parties, c'est seulement avant qu'un jugement d'après la stricte loi ait été prononcé. Après, tous sont d'accord que ce n'est plus possible.
Puisque Moshé percevait la loi pure, instantanément et avec une parfaite clarté, il ne pouvait pas proposer un compromis !
Cette manière d'établir la paix au sein du Peuple était en quelque sorte fermée pour lui. Il le comprit : « Moshé écouta l'avis de son beau-père. Il fit tout ce qu'il avait dit. »
Dès lors, les juges ayant été installés selon les suggestions de Yithro, une nouvelle modalité d'établissement de la paix s'ouvrit pour la Communauté, jusqu'à l'arrivée de Mashia'h, bientôt et de nos jours !
Mis en ligne le 6 Adar 5778 - 21 février 2018
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