SHAVOUOT 5777 : LA DIGNITÉ DE RUTH

Dignité de Ruth, unité d'Israël

« Le pauvre fait plus pour celui qui lui donne la tsedaka que celui qui donne la tsedaka ne fait pour le pauvre. »

Cette leçon, nous dit le Midrash Rabba, nous l'apprenons de Ruth.

Ruth appartenait à la famille royale de Moav. Elle quitte son pays d'origine pour habiter avec sa belle-mère Na'omi, après la mort de leurs époux respectifs.

Lorsque Ruth et Na'omi arrivent à Beth-Le'hem où Na'omi résidait autrefois, elles sont toutes deux dans une terrible pauvreté, sans le moindre moyen de pourvoir à leur propre subsistance : «וְרֵיקָם הֱשִׁיבַנִי יְהוָה » (Les mains vides Hashem m'a fait revenir - Ruth 1:21)

Ruth informe alors Na'omi de son intention d'aller glaner dans les champs la part de la récolte que la Torah impose de laisser à la disposition des pauvres : « אֵלְכָה-נָּא הַשָּׂדֶה וַאֲלַקֳּטָה בַשִּׁבֳּלִים--אַחַר, אֲשֶׁר אֶמְצָא-חֵן בְּעֵינָיו » 2:2

Ainsi pourront-elles obtenir quelque chose pour se nourrir.

Na'omi donne son accord, et Ruth se rend, sans l'avoir prémédité, dans le champ de Bo'az, un homme de la famille d'Elimelekh, mari de Na'omi.

Boaz s'enquiert de l'identité de cette femme inconnue, et lorsqu'il apprend qui elle est, fait en sorte qu'elle soit abondamment pourvue. Il est également attentif à lui éviter toute humiliation.

Lorsque Ruth revient avec une belle moisson de nourriture, Na'omi demande où elle a travaillé pour un tel salaire.

Ruth répond : « וַתֹּאמֶר שֵׁם הָאִישׁ אֲשֶׁר עָשִׂיתִי עִמּוֹ הַיּוֹם, בֹּעַז » (Le nom de l'homme pour lequel j'ai agi ('assiti 'imo) aujourd'hui est Bo'az - 2:19).

Le Midrash note la formulation curieuse de la réponse de Ruth. Est-ce qu'elle n'aurait pas du répondre : « Le nom de l'homme qui a agi pour moi est Bo'az » ? Pourquoi se fait-elle le sujet de l'action accomplie ?

L'enseignement, dit le Midrash, est celui que nous avons cité sur le véritable bénéficiaire d'une action charitable.

Cependant nos questions demeurent. Nous acceptons certainement cette leçon de la part de Ruth, mais il reste que la réponse qu'elle fait à sa belle-mère est étrangement formulée. Na'omi, voyant ses bras chargés d'abondantes nourritures, lui demande qui a été aussi généreux avec elle. En quoi Na'omi est-elle concernée par le fait que Bo'az tirait un plus grand bien de l'acceptation de l'acte charitable, que Ruth elle-même ?

On serait même en droit de dire que les paroles de Ruth frisent l'ingratitude, D.ieu nous en préserve. Souligner le bien qu'elle a fait à Bo'az, juste après qu'il se soit montré aussi généreux avec elle ?

Pour répondre à cette question, il faut revenir aux origines de Ruth. Elle avait été une princesse, habituée à vivre dans le luxe et l'opulence. Elle n'aurait jamais imaginé se trouver dans la situation de ramasser des épis tombés de la main des moissonneurs dans un champ, à la saison chaude, comme une indigente. Et pourtant, elle est là sans rechigner, princesse de Moav, mendiant littéralement sa nourriture...

Un tel avilissement fut certainement vécu comme une dure épreuve.וְאָנֹכִי לֹא אֶהְיֶה, כְּאַחַת שִׁפְחֹתֶיךָ, dit-elle à Bo'az (je ne suis pas même comme une de tes servantes - 2:13).

Pour retrouver l'estime de soi, pour opérer un retournement positif de la situation à laquelle elle avait du se résoudre, elle déclare qu'elle a, ce jour-là, accompli un grand acte de bonté. Elle se concentre donc sur ce qu'il y a de positif, et s'efforce de ne pas laisser dominer les sentiments négatifs que sa déchéance pourrait causer.

Elle ne se laisse pas entraîner dans la dépression...

Même si sa manière de se "remonter le moral" peut sembler offensante pour Bo'az, c'est ce qu'elle estime nécessaire pour la préservation de sa propre dignité dans des circonstances éprouvantes.

L'histoire de Ruth nous enseigne deux leçons essentielles.

D'abord, lorsque nous aidons matériellement notre prochain, lorsque nous soutenons ceux qui sont dans la nécessité, nous devons être pleinement conscients de la souffrance morale qu'entraîne cette situation. Nous devons faire tout ce qui est possible pour adoucir cette souffrance, en sorte que la personne qui est, momentanément be'ezrat Hashem, dans le besoin, conserve sa dignité et sa fierté.

Et la seconde leçon, c'est que Ruth est un vibrant exemple de la capacité à voir l'angle positif, la dimension de service de Hashem, même dans la situation la plus misérable.

C'est le pire moment de son existence, un temps où elle aurait pu à bon droit céder à la tristesse, à la dépression, à l'angoisse du lendemain, ou même, חס ושׁלם, laisser vaciller sa foi en D.ieu. Au lieu de cela, elle réussit à retourner en sa faveur une situation qu'elle aurait pu vivre comme dégradante. Elle sait qu'il est important de préserver sa dignité, celle de l'être créé à l'image de D.ieu, et en voyant sa situation d'une manière positive, elle mérita le titre que nos Sages de mémoire bénie lui ont donné : la mère de la royauté !

Shavouot marque l'anniversaire du don de la Torah à Israël. Lorsque le peuple campait au pied de la montagne, il formait une nation unie, comme nos Sages de mémoire bénie l'ont enseigné : «Comme un seul homme avec un seul cœur»

En cette fête de Shavouot 5777, nous devons souvenir de cette unité, et faire de nouveaux efforts pour la promouvoir.

Nous devons nous rappeler et surtout agir en faveur de ceux qui sont moins fortunés que nous. Nous devons essayer de panser les blessures et combler les fossés qui nous séparent.

C'est le message que, depuis une antiquité si lointaine et si proche, nous transmet une des femmes les plus extraordinaires dont notre sainte Torah nous entretienne.

Puissions-nous l'entendre, l'accomplir, et mériter ainsi une prompte et définitive libération... 'Hag Saméa'h !

Librement adapté du Rav Aryeh Winter - Torah.org

Mis en ligne le 37ème jour du 'Omer 5777 (18 mai 2017)

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