Chapitre 4
4. Pensée, parole et action ont des conséquences dans les mondes supérieurs
Dédié à la réfoua chelema de Lionel Kapp et Isaac ben Louise, ainsi que de tous les malades en Israël.
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C'est là
la Loi absolue de l'homme. (1)
Aucun Juif ne devrait dire en son cœur « Que suis-je, et quel
est mon pouvoir, pour que mes actions dérisoires aient un effet sur
quelque aspect que ce soit de l'univers ? »
Il doit comprendre, savoir et faire entrer en son cœur [l'idée qu']aucun détail de ses actes, de ses paroles et de ses pensées, à tout instant, n'est perdu, D.ieu préserve.
[Qu'il sache] la sublime grandeur de ses actes, car chacun d'entre eux s'élève, en relation avec sa source, et produit un effet sur les plus élevés des mondes supérieurs et sur la subtile fulgurance (2) des lumières célestes. (3)
En vérité, le cœur d'un « homme assez sage pour comprendre » (4) frémira et tremblera en lui-même, lorsqu'il saisira que les conséquences destructrices de fautes mineures, D.ieu nous en garde, sont plus graves que la destruction [causée par] Névoukhadnetsar et Titus. (5)
Car les actes de Névoukhadnetsar (Nabuchodonosor) et Titus n'ont absolument rien endommagé ni corrompu dans les mondes supérieurs, puisqu'ils n'ont pas de part ni de racine [d'âme] dans les mondes supérieurs, et ne pouvaient donc y produire aucun impact du fait de leurs actions.
En revanche, ce sont nos fautes qui ont diminué et affaibli la puissance et la force de ce qui est En-Haut, « le sanctuaire de Hashem est rendu impur » (6), si l'on peut s'exprimer ainsi, c'est-à-dire le Beth haMiqdash céleste.
Et par conséquent, Névoukhadnetsar et Titus furent autorisés à détruire le Temple [matériel] d'en-bas, qui correspondait au Temple céleste.
Ainsi que l'enseignent nos Maîtres de mémoire bénie, lorsqu'ils parlent d'une « farine déjà moulue. » (7)
Et ce sont nos fautes qui ont causé la destruction du Sanctuaire d'En-Haut et les saints mondes supérieurs, et ils n'ont détruit que le Sanctuaire matériel inférieur. (8)
C'est ce pour quoi priait le roi David, la paix soit sur lui, [par rapport à une attaque de l'ennemi] : « Ils y ont paru comme des gens qui brandissent la hache en plein fourré » (9), c'est-à-dire qu'il voulaient donner l'apparence d'avoir causé une destruction dans les mondes supérieurs. En réalité, leurs actions n'eurent aucun impact en-haut, comme on l'a expliqué. (10)
Chaque cœur juif tremblera davantage en réfléchissant sur ce fait : sa structure intègre la totalité de toutes les puissances et de tous les mondes (11), comme on l'expliquera plus loin (12), avec l'aide de D.ieu.
Car ils sont eux-mêmes le sanctuaire et le Temple saints, et le cœur d'une personne, le centre de son corps, comprend tout, et correspond au Saint des Saints, le centre de la résidence, la pierre de fondation [du Temple supérieur], qui intègre toutes les racines des sources correspondantes de sainteté, comme l'observent Hazal : « On doit diriger son cœur vers le Saint des Saints. » (13)
C'est aussi ce que dit le Zohar : « Viens et vois, lorsque Ha Qadosh Baroukh Hou a créé l'homme dans ce monde, Il l'a établi comme un reflet de [la structure] des Royaumes supérieurs, et Il lui a donné le pouvoir et la force, au centre de son corps, où réside le cœur. Il a fondé le monde de cette façon, et Il l'a fait comme un corps, avec le cœur résidant au centre, qui est la force de toute chose et dont toute chose dépend. Et le Sanctuaire, qui comprend le Saint des Saints contenant la Shékhina*, les Kérouvim et l'Arche, est le cœur de chaque contrée, et de là subsistent toutes les parties du monde. » (14)
C'est pourquoi, lorsque les pensées d'une personne en viennent à dévier en son cœur vers des objets impurs, que D.ieu nous en préserve, il amène [littéralement] une prostituée, « l'image de la provocation » (15) dans le sublime Saint des Saints supérieur des mondes supérieurs, D. nous en préserve. Il accroît ainsi la force de l'impureté et du Sitra Aḥera (16) dans le Saint des Saints supérieur dans une mesure bien plus grande que tout ce qui a renforcé la force et le pouvoir de l'impureté par l'action de Titus, qui avait amené une prostituée dans le Saint des Saints du Temple inférieur [matériel].
De la même manière, par chaque faute, chaque Juif fait entrer un « feu étranger » (17) dans son cœur, D. nous en préserve, avec la colère et d'autres désirs mauvais, que le Miséricordieux nous en garde. N'est-ce pas littéralement ce que dit le verset : « Le Temple de notre Sainteté et de notre splendeur (…) a été livré aux flammes » ? (18) D.ieu nous en préserve.
C'est [le sens de] ce que Hashem a dit à Yéḥezqel : « [c'est ici] l'emplacement de Mon trône (...) où Je résiderai à jamais au milieu des enfants d'Israël. Désormais la maison d'Israël ne profanera plus mon saint Nom (…) par leurs prostitutions (...). À présent, ils éloigneront de Moi leurs prostitutions (…) et Je résiderai parmi eux pour toujours. » (19)
C'est ainsi qu'à présent nous pouvons comprendre le verset « Hashem-Éloqim forma l'homme, poussière [détachée] du sol, Il insuffla dans ses narines un souffle de vie, l'homme fut âme vivante. » (20) Le Pshat (le sens simple) de ce verset va certainement selon le Targoum Onqelos (21) : « Et l'homme devint un esprit parlant », ce qui signifie que lorsqu'il était un corps, il n'était littéralement qu'argile sans vie ni mouvement, mais lorsqu'une âme vivante fut insufflée en lui, il devint une personne vivante, animée et capable de parole.
Voyez ici le commentaire du Ramban. (22)
Cependant, ce verset ne dit pas [de l'âme] qu'elle « était avec l'homme » mais bien qu'elle « était l'homme », ce qui permet de comprendre, comme on l'a expliqué, que l'homme est transformé par l'âme de vie qui est en lui en âme vivante d'un nombre infini de mondes.
Et de même que l'âme en lui gouverne tous les détails des gestes et des mouvements de son corps, de même, « l'homme » est celui qui gouverne, et qui est l'âme vivante d'un nombre infini de mondes supérieurs et inférieurs dont [l'existence et les caractéristiques] sont entièrement contrôlées par lui, comme on l'a expliqué plus haut.
Mis en ligne le 5 Elloul 5783 (22 août 2023
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1 Rabbi Ḥaïm utilise ici l'expression emphatique empruntée à II Shmuel – Samuel 7,19 (« וְזֹאת תּוֹרַת הָאָדָם»), et qui sera répétée au début du chapitre 21 du présent Portique.
2 « La subtile fulgurance des lumières célestes » fait référence à un niveau si élevé et si subtil qu'il ne peut être décrit dans les termes utilisés pour les mondes supérieurs « habituels ». Il en sera à nouveau question dans la note 13 du 13ème chapitre du présent Portique.
3 Ici Rabbi Ḥaïm introduit une note 3 reproduite avant le chapitre suivant.
4 Citation stylistique de Yirmiyahou – Jérémie 9,11 : « מִי-הָאִישׁ הֶחָכָם וְיָבֵן אֶת-זֹאת» (où la forme est interrogative.)
5 Névoukhadnetsar (Nabuchodonosor) et Titus ont détruit respectivement le premier et le second Batéi Miqdash.
6 Citation stylistique de Bamidbar – Nombres 19,20 : « כִּי אֶת-מִקְדַּשׁ ה' טִמֵּא»
7 Midrash Eikha (Lamentations) Rabba 1,41, et Sanhédrin 96b. Les deux enseignements portent sur le verset de Yishayahou – Isaïe 47,2 : « Saisis les meules et va moudre la farine – קְחִי רֵחַיִם, וְטַחֲנִי קָמַח» , qui signifie que la farine a déjà été moulue, et qu'il n'y a pas lieu de la moudre à nouveau. De la même manière, Jérusalem était déjà détruite par nos fautes, et sa destruction physique par Névoukhadnetsar et Titus n'avait de sens que comme le reflet d'une destruction spirituelle qui avait déjà eu lieu dans les mondes supérieurs.
8 Rabbi Ḥaïm souligne ici ce qui différencie le Juif du non-juif. L'âme d'un Juif est structurée de telle sorte que ses pensées, ses paroles et ses actes ont littéralement des conséquences cosmiques, tant pour le bien que pour le mal. Ce concept est développé au long du premier Portique, et chaque fois que le terme « homme » (הָאָדָם – haAdam) est utilisé, il s'agit en réalité du Juif. Par opposition, la structure de l'âme d'un non-juif est ainsi faite que ses actions n'ont d'impact que dans le monde physique, et seulement dans la mesure où un Juif a d'abord produit un effet dans les mondes supérieurs tel qu'il soit permis à un non-juif d'agir sur le monde matériel. C'est le cas, enseigne Rabbi Ḥaïm, même pour les rois des non-juifs investis d'un grand pouvoir, comme Névoukhadnetsar et Titus.
La relation du Juif au non-juif est comparable à celle d'un prêtre vis-à-vis d'un membre de la congrégation qu'il sert, comme l'Écriture l'indique en parlant du peuple juif comme d'un « royaume de prêtres, une nation sainte » (Shemot – Exode 19,6) Les deux positions de prêtre et de fidèle comportent chacune une signification et des obligations respectives. Un prêtre n'en est pas un s'il n'a pas de communauté, et toute communauté a besoin d'un prêtre pour la guider. Le Juif doit observer six-cent treize Mitsvot, et de son côté le non-juif doit respecter les sept lois noaḥides. Le Juif comme le non-juif ont la capacité et le libre-arbitre pour effectuer un Tiqoun (une réparation) ou, ḥas veShalom, un kilkoul (une détérioration) du fait de leurs actes. Néanmoins, le devoir et la responsabilité du Juif est de se corriger lui-même ainsi que les mondes autour de lui, alors que la seule obligation du non-juif est de se corriger lui-même. Par conséquent, les actions du Juif ont une plus grande portée. Un non-juif qui voudrait prendre sur lui une plus large obligation a le libre choix de se convertir au Judaïsme, à la condition que sa démarche soit sincère et désintéressée. Mais un non-juif peut atteindre des niveaux très élevés de perfectionnement spirituel et moral en servant Hashem sans se convertir, comme l'indique par exemple le Midrash (Éliyahou Rabba, Parasha 10) : « J'en appelle au Cieux et à la terre pour qu'ils témoignent que, Juif ou non, homme ou femme, serviteur ou servante, il ou elle recevra l'Esprit de Sainteté (Rouaḥ haQodesh) à la mesure de ses actions... »
9 Téhillim – Psaumes 74,5 : « יִוָּדַע, כְּמֵבִיא לְמָעְלָה; בִּסְבָךְ-עֵץ, קַרְדֻּמּוֹת» (le fait que la hache soit « brandie » suggère la volonté, illusoire, d'atteindre les hauteurs de l'univers, figuré par « les fourrés »).
10 Voir Sanhédrin 96b, et l'équivalent en Shemot Rabba Péqoudéi 51,5, ou Midrash Tan'huma Péqoudéi 3.
11 Ici Rabbi Ḥaïm introduit une note 4 reproduite au chapitre suivant.
12 En expliquant la notion de « Shi'our Qoma », littéralement « la mesure du corps ». Premier Portique, chapitre 6, et deuxième Portique, chapitre 5.
13 Berakhot 28b, où il est question de la direction vers laquelle on doit physiquement se tourner dans la prière. Celui qui, parce qu'il voyage en mer, ne sait de quel côté se tourner, doit « orienter son cœur vers le Qodesh haQodashim. »
14 Zohar III Shelakh Lekha 161a
15 Citation stylistique de Ye'hezqel 8,3 : « סֵמֶל הַקִּנְאָה הַמַּקְנֶה», que le Rabbinat traduit par : « l'idole de la jalousie irritante. »
16 סִטְרָא אַחְרָא, mot-à-mot « l'autre côté », fait référence au domaine du mal. Le mal est le domaine de ce qui est perçu comme n'étant pas D.ieu, quand en réalité tout est D.ieu. Lorsque dans ce monde nous croyons percevoir une part quelconque de notre existence comme quelque chose d'autre que D.ieu, nous nous trouvons dans le domaine de sitra aḥera, D. nous en garde. Inversement, une profonde conviction que tout est D.ieu, et qu'il n'y a rien d'autre que Lui débarrasse le monde de sitra aḥera, et de tout ce qui agit comme un obstacle nous séparant de Lui (Voir Troisième Portique, chapitre 12).
17 Wayiqra – Lévitique 10,1 où la Torah fait le récit de la mort des fils d'Aharon, Nadav et Avihou, qui avaient amené dans le sanctuaire un « feu étranger – אֵשׁ זָרָה».
18 Yishayahou – Isaïe 64,10 : « בֵּית קָדְשֵׁנוּ וְתִפְאַרְתֵּנוּ, אֲשֶׁר הִלְלוּךָ אֲבֹתֵינוּ--הָיָה, לִשְׂרֵפַת אֵשׁ; וְכָל-מַחֲמַדֵּינוּ, הָיָה לְחָרְבָּה» que le Rabbinat traduit : « Notre saint et glorieux Temple, où Te célébraient nos ancêtres, est devenu la proie des flammes ; nos biens les plus chers ont été livrés à la destruction. »
19 Yéḥezqel – Ézékiel 43,7-9 : « וַיֹּאמֶר אֵלַי, בֶּן-אָדָם אֶת-מְקוֹם כִּסְאִי וְאֶת-מְקוֹם כַּפּוֹת רַגְלַי, אֲשֶׁר אֶשְׁכָּן-שָׁם בְּתוֹךְ בְּנֵי-יִשְׂרָאֵל, לְעוֹלָם; וְלֹא יְטַמְּאוּ עוֹד בֵּית-יִשְׂרָאֵל שֵׁם קָדְשִׁי הֵמָּה וּמַלְכֵיהֶם, בִּזְנוּתָם, וּבְפִגְרֵי מַלְכֵיהֶם, בָּמוֹתָם. ח בְּתִתָּם סִפָּם אֶת-סִפִּי, וּמְזוּזָתָם אֵצֶל מְזוּזָתִי, וְהַקִּיר, בֵּינִי וּבֵינֵיהֶם; וְטִמְּאוּ אֶת-שֵׁם קָדְשִׁי, בְּתוֹעֲבוֹתָם אֲשֶׁר עָשׂוּ, וָאֲכַל אֹתָם, בְּאַפִּי. ט עַתָּה יְרַחֲקוּ אֶת-זְנוּתָם, וּפִגְרֵי מַלְכֵיהֶם--מִמֶּנִּי; וְשָׁכַנְתִּי בְתוֹכָם, לְעוֹלָם- Il me dit: "Fils de l'homme, [c'est ici] l'emplacement de Mon trône, le lieu [où se pose] la plante de Mes pieds, où Je résiderai à jamais au milieu des enfants d'Israël. Désormais la maison d'Israël ne profanera plus mon saint Nom, ni eux, ni leurs rois, par leurs prostitutions et les cadavres de leurs rois sur leurs hauts-lieux ; car ils mettaient leur seuil près de Mon seuil, leurs poteaux près de Mes poteaux, avec un [simple] mur entre Moi et eux. C'est ainsi qu'ils profanaient Mon Nom par les abominations qu'ils commettaient, et que Je les ai consumés dans Ma colère. À présent, ils éloigneront de Moi leurs prostitutions et les cadavres de leurs rois, et Je résiderai parmi eux pour toujours. »
20 Béréshit – Genèse 2,7 : « וַיִּיצֶר ה' אֱלֹהִים אֶת-הָאָדָם, עָפָר מִן-הָאֲדָמָה, וַיִּפַּח בְּאַפָּיו, נִשְׁמַת חַיִּים; וַיְהִי הָאָדָם, לְנֶפֶשׁ חַיָּה» Notons que c'est de ce verset que Rabbi Ḥaïm tire le titre du présent ouvrage.
21 La traduction en Araméen du Pentateuque.
22 Rabbi Moshé ben Na'hman, dit Na'hmanide, (1194-1270) sur Béréshit – Genèse 2,7. Après avoir présenté les thèses de Platon et d'Aristote au sujet de l'âme humaine, Ramban écrit : « הזה כפי משמעו ירמוז כן כי יאמר שיצר השם אֶת הָאָדָם עָפָר מִן הָאֲדָמָה והיה מוטל גולם כאבן דומם והקב"ה נפח בְּאַפָּיו נִשְׁמַת חַיִּים ואז חזר הָאָדָם להיות "נֶפֶשׁ חַיָּה" שיתנועע בה כמו החיות והדגים שאמר בהם (לעיל א כ כד) "יִשְׁרְצוּ הַמַּיִם שֶׁרֶץ נֶפֶשׁ חַיָּה" ו"תּוֹצֵא הָאָרֶץ נֶפֶשׁ חַיָּה" וזה טעם "לְנֶפֶשׁ חַיָּה" כלומר ששב האדם להיות נפש בה חיים אחרי שהיה חרש את חרשי אדמה – La conséquence de ce verset, selon son sens simple, [s'exprime] ainsi, car il est dit que ''Hashem-Éloqim forma l'homme, poussière [détachée] du sol'', ce qui signifie qu'il était étendu là, forme sans vie (''Golem''), comme une pierre silencieuse, que HaQadosh Baroukh Hou insuffla dans ses narines une âme de vie, et que [seulement] à ce moment l'homme devint ''une âme vivante'', par laquelle il fut capable de se mouvoir, comme les bêtes et les poissons dont il est écrit : ''Que grouillent les eaux d'une vermine d'âme vivante (Ibid.1,20)'' et ''Que la terre produise [toute] âme vivante'' (Ibid.1,24), et c'est le sens de ''[il devint] une âme vivante - נֶפֶשׁ חַיָּה'', après avoir été [sans vie] comme un ''vase fragile au milieu d'autres vases de terre'' (citation stylistique de Yéshayahou – Isaïe 45,9) »