WAYIQRA 5778

Qui recevra l'appel du Roi ?

« Il appela Moshé, Hashem lui parla. »

Wayiqra 1,1

Le premier mot de notre Parasha a fait couler des rivières d'encre sainte !

De nombreux commentateurs, à commencer par Rashi, enseignent au nom du Midrash Rabba qu'il faut voir dans cette formulation (« Il appela »), identique à celle qu'utilisent les anges du Service, une marque particulière d'affection de la part du Créateur, vis-à-vis de Moshé.

Pourtant, un peu plus loin le même Midrash, cité par le Talélei Orot s'étonne : « N'a-t-il pas appelé Adam lui aussi ? (Béreshit 3,9) [Ce n'est pas une difficulté,] il n'est pas inconvenant pour le Roi de parler à son métayer (Adam ayant la charge de cultiver le Gan 'Eden). Et à Noa'h, ne lui a-t-Il pas parlé ?[Ce n'est pas une difficulté,] il n'est pas inconvenant pour le Roi de parler à son écuyer (Noa'h avait pour tâche de prendre soin des animaux du Roi). N'a-t-Il pas appelé Avraham lui aussi ? [Ce n'est pas une difficulté,] il n'est pas inconvenant pour le Roi de parler à son aubergiste, comme il est écrit : 'Il planta une auberge à Beer-Sheva' (le terme eshel, qui signifie bosquet, est rendu par auberge (Pundak) dans la Guemara - Sota 10b.) »

Cet enseignement semble assez obscur. Pourquoi l'expression « Hashem appela Moshé » aurait-elle un caractère à ce point exclusif ? Et quel sens donner à l'expression « il n'est pas inconvenant pour le Roi... » ?

La stature spirituelle de Moshé était si élevée que Hashem se manifestait à lui par un « appel ». Et les Maîtres du Midrash ajoutent que ce privilège était dû à son niveau en Torah, le plus élevé qu'un homme ait jamais atteint.

Voilà pourquoi la question de « l'appel » de D.ieu aux immenses personnages évoqués par le Midrash se pose : ils n'avaient pas le niveau de Moshé en matière de Torah. Comment se fait-t-il que Hashem les ait « appelés » eux aussi ? Peut-être n'est-il pas nécessaire d'atteindre un tel niveau pour être « appelé » ? Et s'il en est ainsi, pourquoi enseigne-t-on que le verbe Wayiqra figure ici dans la Torah pour marquer la dimension exceptionnelle de Moshé ?

Le Midrash répond par conséquent : certes, Adam, Noa'h et Avraham n'avaient pas le niveau de Moshé, mais : « il n'est pas inconvenant pour le Roi de parler etc... »

Le Messilat Yésharim enseigne (chapitre 26) que : « Celui qui, contraint par les nécessités de la vie, doit se livrer à un travail simple, peut se hisser au plus haut niveau d'intégrité tout autant que celui qui ne s'interrompt jamais dans l'étude. Il est écrit [à son sujet] : 'Toute l'œuvre de Hashem lui est destinée' (Mishléi 16,14) et aussi : 'Dans toutes tes voies, songe à Lui, et Il aplanira ta route' (ibid.3,6) »

La manière la plus efficace et la plus directe pour l'homme de s'améliorer est l'étude et l'accomplissement de la Torah. Mais, nous dit le Ram'hal, ce n'est pas la seule voie. On peut aussi être le jardinier, l'écuyer ou l'aubergiste de D.ieu.

Et ils peuvent atteindre la perfection, ceux qui doivent accomplir un travail ordinaire, si « leurs cœurs sont orientés vers la Sagesse, et leurs pensées restent des pensées de Torah et de crainte du Ciel », comme l'enseigne le Nefesh ha'Haïm (1,8).

Et c'était bien le cas d'Adam haRishone dont il est écrit que « Hashem-Eloqim prit l'homme, le conduisit dans le Gan 'Eden pour le travailler et le garder » (Bereshit 2,15). De même Noa'h, qui avait reçu l'ordre de construire l'arche, et de prendre soin des animaux qui y vécurent pendant le déluge, tâche exténuante, selon le Midrash, qui ne lui laissait sûrement que peu de temps pour étudier la Torah. Quant à Avraham, qui avait pour mission de recevoir des hôtes envoyés par D.ieu, il devait lui aussi se consacrer à de nombreuses et humbles tâches, par lesquelles il pouvait, lui aussi atteindre l'intégrité.

Voila ce que le Midrash veut dire en répétant la formule ; « il n'est pas inconvenant pour le Roi de parler » aux serviteurs de Sa Maison : Adam, Noa'h et Avraham se sont hissés aux plus hauts niveaux spirituels en tenant les rôles que D.ieu leur avait confiés, tout comme Moshé était parvenu à ce niveau par sa propre voie, celle de la Torah, selon la mission qu'Il lui avait assignée.

Il ne fait pas de doute que la meilleure manière de s'élever dans le domaine spirituel et d'améliorer ses midot (traits de caractère), c'est de fréquenter le plus souvent possible nos Maîtres de mémoire bénie, en étudiant la sainte Torah qu'ils nous ont léguée en héritage éternel. De nouveau, le Nefesh ha'Haïm affirme que si un homme a les moyens matériels et intellectuels de se consacrer entièrement à l'étude de la Torah et au Service divin, il ne peut absolument pas se soustraire à ce devoir !

Mais celui qui est contraint de consacrer du temps à la recherche d'une parnassa, s'il « pense à Lui dans toutes ses voies », s'il s'applique à accomplir la volonté d'Hashem, fût-ce en réalisant les plus humbles travaux, celui-là peut atteindre l'intégrité.

Le Rav Steinmann, ZL, a rapporté l'histoire suivante, qui illustre cette idée de manière inattendue.

Des talmidim du 'Hafets 'Haïm vinrent lui rendre visite pour obtenir de sa part une bénédiction à l'effet de leur éviter d'être recrutés par l'armée russe.

Il les reçut avec chaleur, et leur donna à tous la bénédiction qu'ils souhaitaient, sauf à un d'entre eux à qui il dit : « Dans l'armée aussi, il te sera possible d'œuvrer pour la Torah. »

Le jeune homme était plutôt déçu, d'autant plus que sous l'effet manifeste de la bénédiction du Rav, ses camarades furent effectivement exemptés de service militaire, tandis que lui fut enrôlé, et envoyé dans les marches reculées de l'empire russe.

Comme il ne pouvait rien manger de ce qui était servi aux recrues, il alla trouver le rabbin d'une localité voisine, qui intervint et mit son énergie à obtenir que de la nourriture cachère fût préparée et servie aux soldats de la caserne. Naturellement, de nombreux soldats juifs venus de toutes les provinces de Russie, qui jusque là avaient dû manger des aliments interdits, purent bénéficier d'une nourriture conforme à la Loi juive. Ils apprirent ainsi à connaître et à observer les lois de la casherout.

Et notre étudiant se souvint avec émotion et fierté des paroles du 'Hafets 'Haïm : « Dans l'armée aussi, tu pourras œuvrer pour la Torah ! »

Mis en ligne le 29 Adar 5778 - 16 mars 2018

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