1.9
9. Les actions de l'homme entraînent une réaction divine : une autre approche
Quant
à la génération [qui reçut la Torah] dans le désert, elle mérita
de « manger à la Table du Roi (1) »
« le pain du Ciel chaque jour (2) ».
« Leurs vêtements ne s'usaient pas sur eux (3). »
Les Hébreux n'avaient donc aucun besoin de se livrer à quelque activité que ce soit pour gagner leur subsistance.
Il est évident pour tous qu'on ne les considérerait pas comme accomplissant la Volonté divine s'ils ne tournaient leur regard vers le Ciel avec une entière sincérité, et ne vouaient leurs cœurs exclusivement à l'étude de la Torah, au Service et à la crainte du Ciel « sans qu'elles [les paroles de la Torah] s'éloignent de leur bouche, jour et nuit (4) », littéralement, sans la moindre distraction, même pour la plus insignifiante entreprise de recherche d'une parnassa [hormis la collecte de la Manne.]
Comme l'enseignent Ḥazal, la Torah n'a été donnée qu'à ceux qui consomment la Manne (5).
Par conséquent, à cette époque, les Kérouvim étaient dans une posture qui témoignait de de [la qualité du] Service de HaShem [des Hébreux], c'est-à-dire qu'ils se faisaient face, pour montrer qu'« ils contemplent Sa face (6) », dans ce face-à-face [de HaShem] avec Son Peuple saint.
Cependant, à l'époque de Shelomo haMelekh, la majorité du peuple avait besoin d'un minimum d'activité visant à l'acquisition d'une parnassa, de manière à pourvoir aux nécessités de la vie quotidienne.
C'est ainsi que s'exprime l'essentiel de la Volonté divine, selon Rabbi Ishmaël, qui pense qu'il est préférable pour le plus grand nombre d'agir de cette façon, comme l'enseigne la Mishna Avot : « Il est bon de concilier l'étude de la Torah avec le gagne-pain, [car leurs efforts associés occultent [la tentation de] la faute] ; et toute étude de la Torah qui n'est pas accompagnée d'un travail est vouée à la perte et entraîne la faute. » (7) Or, Pirkéi Avot montrent comment un homme doit se conduire avec piété (8). Alors même qu'il s'adonnent à une telle activité, leurs cœurs doivent se préoccuper de Sagesse, et leurs pensées sont des pensées de Torah.
C'est pourquoi Shelomo haMélekh a initialement disposé les Kérouvim d'après la manière dont Israël accomplissait la Volonté divine, c'est-à-dire que leurs visages formaient un angle, mais que malgré cela, ils étaient « enlacés l'un et l'autre dans une étreinte (9) » « étroitement embrassés (10) » avec des visages affectueux, pour manifester l'amour de HaShem pour nous, et montrer que, comme on l'a vu, cette manière de servir correspond pleinement à Sa Volonté.
C'est la vision de Rabbi Ishmaël.
(L'opinion qui veut que même les Kérouvim de Shelomo étaient disposés pour correspondre à la manière dont Israël accomplissait la Volonté divine, c'est-à-dire qu'ils se trouvaient face-à-face, est celle de Rabbi Shim'on bar Yoḥaï.)
Pourquoi, au temps de Shelomo, était-il nécessaire de disposer les Kérouvim selon un angle ? Il est certain que le Kérouv qui représentait HaShem aurait dû être disposé comme faisant face directement (tandis que celui qui représentait Israël serait disposé selon un angle, selon l'opinion de Rabbi Ishmaël.)
Néanmoins, le concept que nous avons décrit, de la connexion de HaShem, si l'on peut dire, avec tous les mondes et toutes les forces, toute leur organisation et leurs interrelations, et de même la manière dont Il Se comporte avec nous, [tout cela] dépend de la quantité de mouvement et d'éveil qui produit un effet sur eux selon nos actions dans le monde d'en-bas.
Dans la mesure de ces actions, « un visage riant et plaisant (11) » descend [à travers les niveaux des mondes] attiré jusque même dans notre monde inférieur.
C'est pour cela que même le Kérouv qui représentait HaShem devait être légèrement positionné aussi selon un certain angle, pour refléter la mesure de l'angle du Kérouv qui représentait Israël (12).
C'est pourquoi, au moment de l'ouverture de la Mer des joncs, « HaShem dit à Moshé : Que cries-tu vers Moi ? Parle aux fils d'Israël, et qu'ils aillent ! (13) » ce qui signifie que la chose est entre leurs mains, de sorte que s'ils sont au sommet de leur foi et de leur confiance, au point d'entrer dans la mer et de la traverser sans crainte, grâce à la seule force de la certitude qu'elle va certainement s'ouvrir devant eux, alors un éveil supérieur [descend] et opère le miracle de l'ouverture de la mer. « C'est ce qui provoque un éveil d'En-Haut [qui en retour] accomplit le miracle et ouvre la mer devant eux (14). »
C'est ce qui est écrit : « Avec mes puissants chevaux [qui ont battu] les cavaliers de Pharaon, J'ai révélé que tu es Ma bien-aimée (15) », ce qui signifie que, de même que dans l'armée [égyptienne], contrairement à l'ordre normal qui veut que le cavalier dirige sa monture, ce sont les chevaux de Pharaon qui guidaient leurs cavaliers comme l'enseignent Ḥazal (16), de même « J'ai révélé que tu es Ma bien-aimée », et Je suis sous ton contrôle, Ma bien-aimée, littéralement, en ce sens que, bien que Je sois « Celui qui chevauche dans les hauteurs célestes (17) », guide-Moi, si l'on peut dire, par tes actions, puisque si l'on peut dire, Ma relation avec les mondes [se règle] d'après l'orientation de tes actions, comme il est écrit : « Il chevauche le ciel à ton secours (18). » C'est aussi ce qu'ont dit Ḥazal : « Notre Service satisfait les besoins du Très-Haut. (19) »
1 Cette expression (מאוכלי שלחן גבוה) est habituellement utilisée pour décrire la consommation des sacrifices du Temple par les cohanim (Beitsa 21a).
2 Shémot – Exode 16,4 : « לֶחֶם מִן-הַשָּׁמָיִם » qui fait référence à la Manne.
3 Dévarim – Deutéronome 8,4 : « שִׂמְלָתְךָ לֹא בָלְתָה, מֵעָלֶיךָ ».
4 Yéhoshou'a – Josué 1,8 : « וְהָגִיתָ בּוֹ יוֹמָם וָלַיְלָה ».
5 Par ex. Introduction à la Mékhilta Béshallaḥ, qui rapporte cet enseignement au nom de Rabbi Shim'on bar Yoḥaï. Bien que Rabbi Ḥayim ne cite pas l'auteur, il est intéressant de noter que c'est souvent au nom de Rabbi Shim'on bar Yoḥaï que cet enseignement est cité, ce qui correspond très bien à notre contexte. Il est répété à plusieurs reprises dans la Mékhilta (Béshallaḥ 13,17) et dans d'autres Midrashim, le plus souvent au nom de Rabbi Shim'on bar Yoḥaï, mais parfois au nom de Rabbi Éliézer.
6 Téhillim – Psaumes 11,7 : « יָשָׁר, יֶחֱזוּ פָנֵימוֹ ».
7 Mishna Avot 2,2 : « יָפֶה תַּלְמוּד תּוֹרָה עִם דֶּֽרֶךְ אֶֽרֶץ, שֶׁיְּגִיעַת שְׁנֵיהֶם מַשְׁכַּֽחַת עָוֹן, וְכָל תּוֹרָה שֶׁאֵין עִמָּהּ מְלָאכָה סוֹפָהּ בְּטֵלָה וְגוֹרֶֽרֶת עָוֹן »
8 Baba Kamma 30a. En d'autres termes, Pirkéi Avot sont le cadre de référence du bon comportement de l'homme.
9 Yoma 54a.
10 I Mélakhim – I Rois 7,36 : « כְּמַעַר־אִ֥ישׁ וְלֹי֖וֹת » Le sens de cette expression semble incertain. Le Rabbinat traduit : « selon l'espacement de chaque pièce » ce qui ne nous éclaire pas vraiment.
11 Par ex. Midrash Tanḥouma Yithro 17.
12 Rabbi Ḥayim introduit ici la note 11, reproduite à la fin du chapitre.
13 Shémot – Exode 14,5 : « וַיֹּאמֶר ה׳ אֶל-מֹשֶׁה, מַה-תִּצְעַק אֵלָי; דַּבֵּר אֶל-בְּנֵי-יִשְׂרָאֵל, וְיִסָּעוּ » ; Rashi donne deux commentaires particulièrement pertinents dans notre contexte. D'abord : « Qu'as-tu à crier vers Moi ? C'est de Moi, pas de toi, que dépendent les choses ! comme il est écrit (Yecha'ya 45, 11) : « Me donneriez-vous des ordres pour l'œuvre de Mes mains ? » (Mekhilta) » et second commentaire : « Ils n'ont rien d'autre à faire que de partir, car la mer ne se dressera pas contre eux. Le mérite de leurs pères et la foi (וְהָאֱמוּנָה ) qu'ils M'ont vouée en quittant l'Égypte suffiront à leur ouvrir la mer (Mekhilta). »
14 Il est intéressant de noter le commentaire du Gaon de Vilna sur ce Zohar, au sujet de notre verset « HaShem dit à Moshé : Que cries-tu vers Moi ? Parle aux fils d'Israël, et qu'ils aillent ! ».
Le Gaon explique : « Il est écrit ''vers Moi'' précisément : cela signifie que HaShem est au sein [du niveau de] Zeer Anpin [de Atsilout], et Il dit : ''Pourquoi cries-tu vers Moi, la chose est déjà décidée par le Mazal (la destinée, le sort).''
Il est [ensuite] écrit ''qu'ils aillent'' précisément : cela signifie que tout Israël a crié vers HaShem [au niveau de] Zeer Anpin [de Atsilout]. Il a dit : ''Partez de ce lieu.'' C'est-à-dire que HaShem ne voulait pas de cet éveil d'Israël. De même qu'En-Haut, le niveau supérieur [Atik haQodesh] n'est pas affecté par les actions de ceux qui vivent dans ce monde, et leurs prières ne parviennent qu'au niveau de Zeer Anpin [de Atsilout]. C'est pourquoi il est écrit : ''HaShem combattra pour toi et tu resteras silencieux.'' (Shemot 14,14)
Un autre Zohar (Zohar II Béshallaḥ 52b) explique que le miracle de l'ouverture de la mer des joncs ''dépendait entièrement du niveau de Atik'', et ne semble pas avoir du tout relevé des actions de l'homme dans ce monde, comme le Gaon vient de l'expliquer (et conformément au premier pshat de Rashi).
Il semble qu'il y ait là une contradiction avec l'enseignement de Rabbi Ḥayim, qui affirme : « que la chose était entre leurs mains », et que c'était à Israël d'agir pour faire advenir le salut.
On peut expliquer que dans des circonstances ordinaires l'action et la prière agissent de manière naturelle au sein de l'ordre naturel des choses. L'action et la prière d'Israël ont un effet sur le niveau de Zeer Anpin de Atsilout, qui en retour suscite une réponse naturelle. En revanche, le surnaturel ne peut advenir qu'en réponse à une relation également surnaturelle entre Israël et HaShem. Pour faire advenir le surnaturel, Israël doit faire preuve d'un niveau surnaturel de Émounah (foi) qui échappe à toute rationalité naturelle. C'est pourquoi l'ouverture surnaturelle de la mer ne se produisit que lorsque Israël manifesta activement une Émounah inébranlable et proprement surnaturelle en se jetant dans la Mer des joncs. C'est cette seule action, qui était précisément « entre leurs mains », et exprimait une foi surnaturelle, qui pouvait provoquer un épanchement surnaturel correspondant du niveau de Atik qui déclencha l'ouverture de la mer. C'est pourquoi HaShem dit à Moshé : ne fais pas appel « à Moi » pour obtenir une réponse naturelle, car cela ne fonctionnera pas. Au lieu de cela, « qu'ils aillent », et qu'ils recherchent activement un niveau de Émounah surnaturelle, qui à son tour suscitera la réponse surnaturelle souhaitée.
C'est délibérément que Rabbi Ḥayim ramène cet exemple extrême, pour montrer que HaShem module Sa réaction en fonction des actes d'Israël, au point que si Israël agit de manière surnaturelle, il pourra susciter une réponse surnaturelle correspondante. Rabbi Ḥayim exprime une idée semblable lorsqu'il explique en 1,7 que HaShem est comme l'ombre de l'homme. Il expliquera également en 3,12 que selon le Zohar, une personne qui a une pleine conscience qu'il n'existe rien d'autre que HaShem est capable d'obtenir la réalisation d'événements surnaturels.
15 Shir haShirim – Cantique des cantiques 1,9 : « לְסֻסָתִי בְּרִכְבֵי פַרְעֹה, דִּמִּיתִיךְ רַעְיָתִי – [mot à mot] À Ma cavalerie (groupe de chevaux) contre les chars de Pharaon Je t'ai fait taire, Mon amie. » Rashi rappelle ici le verset de Shemot 14,14 : « HaShem combattra pour vous et vous, taisez-vous ». Le Rabbinat traduit d'une manière radicalement différente : « À une cavale, attelée aux chars de Pharaon, je te compare, mon amie. »
16 Shemot Rabba Béshallaḥ 23,14 et Shir haShirim Rabba 1,6.
17 Téhillim – Psaumes 68,5 : « סֹלּוּ, לָרֹכֵב בָּעֲרָבוֹת. »
18 Dévarim – Deutéronome 33,26.
19 Par exemple Shabbat 116b, Shabbat 131b, Yébamot 5b etc. Rabbi Ḥayim ne cite pas ces sources mot-à-mot, mais il donne son interprétation de ces passages, qui pourraient faire l'objet d'une autre leçon, à savoir qu'un certain type de Service doit être accompli pour HaShem, et non pas que HaShem ait spécialement besoin de tel ou tel Service. Rabbi Ḥayim explique pour sa part que ces sources enseignent : HaShem a besoin de nos actions, et elles ont un impact sur Lui. Non qu'elles puissent Le faire changer d'aucune manière, car Il n'est susceptible d'aucun changement (comme on le verra en 3,4), mais elles sont la cause qui Le fait agir avec nous de la manière qui leur correspond. Cette expression (« Notre Service satisfait les besoins du Très-Haut ») est de nouveau utilisée et expliquée en 2,4 et 2,10.
Le Shela Toledot Adam éclaire cette expression sous un autre angle : « [citation de Rabbénou Béḥayé :] ''Par conséquent, Israël a le pouvoir d'affaiblir ou d'intensifier la puissance de la force supérieure, en fonction de ses actions.'' Tes yeux peuvent voir ce sur quoi tous s'accordent, c'est-à-dire que « Notre Service satisfait les besoins du Très-Haut », car c'est par [ce Service] que le Grand Nom est réparé, et le Tsaddiq accorde sa forme à celle de son Créateur, conformément au secret de la création de l'homme du monde inférieur à l'image et selon la ressemblance de l'Homme Supérieur comme je l'ai expliqué. Par conséquent, lorsqu'il sanctifie ses membres internes et externes, les membres physiques se relient avec les membres spirituels. C'est le secret des membres de la Merkava supérieure, qui s'en trouvent renforcés. Si la ressemblance de l'homme change, ḥas veShalom, je veux dire s'il se détourne du côté de la Sainteté et s'attache au côté de l'impureté, alors il endommage tous les mondes, et la destruction produit un effet En-Haut... »