A'HAREI MOT 5777
A'harei mot : Tsdouqim d'hier et d'aujourd'hui
וְלָקַח מְלֹא-הַמַּחְתָּה גַּחֲלֵי-אֵשׁ מֵעַל הַמִּזְבֵּחַ, מִלִּפְנֵי יְהוָה, וּמְלֹא חָפְנָיו, קְטֹרֶת סַמִּים דַּקָּה; וְהֵבִיא, מִבֵּית לַפָּרֹכֶת
Wayiqra 16,12
( Il remplira l'encensoir de charbons ardents, pris sur l'autel qui est devant le Seigneur; prendra deux pleines poignées d'aromates pilés menu, et introduira le tout dans l'enceinte du voile. II jettera le fumigatoire sur le feu, devant le Seigneur, de sorte que le nuage aromatique enveloppe le propitiatoire qui abrite le Statut, et qu'il ne meure point. - Trad. du Rabbinat)
Le regretté Benny Lévy, ZL, comparait les tsdouqim (les « sadducéens ») aux modernes. Mais leur opinion, s'agissant des קְטֹרֶת (Qetoret - l'encens) de Yom Kippour, n'en est pas moins surprenante.
Dans son commentaire, le Rav Shimshon Raphael Hirsch Zatsal note qu'à l'époque du second Temple, les tsdouqim appartenaient à la classe aisée. Ils rejetaient la Torah orale (Torah chebéal pé), et souhaitaient jouir de leur prospérité, libres des exigences complexes de la Halakha établie méthodiquement par les 'Hakhamim.
Ils avaient évidemment besoin d'une « religion ». Dans la société juive du second Temple, pas de place pour l'agnosticisme ou l'athéisme tels que nous les connaissons aujourd'hui. Suivre les prescriptions de la Torah écrite (Torah chébikhtav) apparaissait donc comme une bonne option, beaucoup moins exigeante que les mille détails de la Loi orale.
Et pourtant, la question des קְטֹרֶת semble invalider cette analyse.
Le Cohen Gadol n'entrait dans le Qodesh Qodashim qu'une fois l'an, le jour de Kippour. Un aspect de la 'Avodah tout à fait unique de ce jour consistait à apporter l'encens et un ustensile (l'encensoir, מַּחְתָּה) contenant des braises ardentes.
Une fois à l'intérieur, il plaçait l'encens sur les braises, produisant ainsi un nuage de fumée odorante qui emplissait la chambre sainte.
Les tsdouqim changèrent l'ordre des opérations, et décidèrent que l'encens devait être placé sur les braises avant que le Cohen Gadol n'entrât dans le Qodesh Qodashim. C'est un point sur lequel ils insistaient fortement.
Cette ferme prise de position est plutôt troublante. Le pshat des versets, tout à fait explicites, penche sans ambiguïté du côté de nos Sages ! En vérité, nous n'aurions pas été surpris qu'ils aient une approche différente du sens simple. C'est ce qu'impliquent fréquemment la méthode inspirée et la puissance exégétique des 'Hakhamim.
Les tsdouqim sont au contraire des littéralistes. Le Rav Léon Ashkénazi (Manitou) ZL, avait cette belle et cinglante formule : « ils lisent la Bible et croient ce qu'ils lisent, tandis que nous lisons la Bible et cherchons ce qu'il faut croire ! »
Comment se fait-il que les rôles soient ici comme inversés, 'Hazal suivant la prescription de la lettre des versets, et les tsdouqim insistant sur une interprétation non littérale ?
Voici comment ils justifiaient leur étrange opinion : comment peut-on imaginer de se conduire avec D.ieu comme on ne le ferait pas avec un être humain ? Lorsqu'on amène l'encens devant un invité (comme on avait l'habitude de le faire dans l'antiquité), on ne l'allume pas devant lui, mais avant, de sorte que la fumée odorante s'élève déjà pour parfumer l'atmosphère. Agir différemment à l'égard de Hashem, affirmaient-ils, serait contraire à tout savoir-vivre !
Et pourtant, Nadav et Avihou n'avaient-ils pas fait la même chose ? Ils n'avaient pas seulement amené un « feu étranger », en l'absence de tout commandement divin, mais ils avaient aussi initié la combustion de l'encens avant d'entrer dans le Mishkan !
On sait qu'il existe nombre d'opinions de nos Sages de mémoire bénie quant à la faute de Nadav et Avihou. Il y a cependant un thème central qui traverse plusieurs de ces opinions : ils se fiaient à leur propre discernement pour décider de ce qui est souhaitable et pertinent, pour le Service divin comme pour leur propre développement spirituel. Ils ne pensaient pas utile de mettre en question leurs certitudes, ni de consulter Moshé et Aharon, les véritables porte-paroles de la Volonté divine ! C'est pour cela que leur offrande a été appelée Esh Zara. Le vrai serviteur de D.ieu ne connaît de feu que de la Torah ! D.ieu attend de nous une conduite conforme à Ses instructions, et non à un vague sentiment de ce qu'il faudrait ou ne faudrait pas faire...
Nadav et Avihou, au contraire, allumèrent leur propre feu. Il voulurent servir Hashem sous des formes issues de leur imagination. C'est leur feu qu'ils amenèrent, non celui de D.ieu !
Ne nous y trompons pas cependant : Nadav et Abihou étaient d'incomparables Tsadiqim ! Les tsdouqim ne les ont imités que sur la forme, et non en substance.
Mais malgré eux, Nadav et Avihou ont inspiré une modalité du service divin qui, plaçant l'homme avant D.ieu, équivaut à un rejet global de la Torah.
On comprend dès lors que les tsdouqim n'ont pas disparu...
C'est contre eux que le Rav Hirsch eut à lutter jusqu'à l'épuisement dans l'Allemagne des prétendues « lumières juives » de la seconde moitié du 19è siècle. Contre ceux qui rejettent l'autorité de la Torah orale, ceux qui tournent en ridicule les mitswot dont ils ne comprennent pas le sens, les prescriptions qui heurtent les bons sentiments et la culture ambiante.
Ceux-là prétendent servir D.ieu, mais à leurs propres conditions ! Les rites n'existent, disent-ils, que pour satisfaire le besoin qu'a l'homme de rendre un culte à ce qui le dépasse, et chaque génération est fondée à inventer les rites qui semblent avoir du sens pour elle.
De nos jours encore, ils continuent d'amener des éléments étrangers dans le Miqdash. Ils ne connaissent d'autre feu divin que celui qu'ils ont inventé.
Que le Créateur du Monde nous garde de les imiter !
Librement adapté du Rav Its'haq Adlerstein - Torah.org
Mis en ligne le 6 Iyar 5777 (2 mai 2017 - Yom hastmaout)