KI TAVO 5777

Le Cohen, quel qu'il soit...

וּבָאתָ, אֶל-הַכֹּהֵן, אֲשֶׁר יִהְיֶה, בַּיָּמִים הָהֵם

« Tu te présenteras au Cohen qui sera [en fonction] en ces jours. » (Devarim 26,3)

Pourquoi, demande le Rav Shimshon Rafael Hirsch זצל, la Torah précise-t-elle : « en ces jours » ? Peut-on imaginer qu'il amène ces offrandes à un Cohen du passé, ou du futur ?

La Torah a déjà utilisé ce langage, dans Parashat Shoftim, lorsqu'il s'agissait d'apprendre la Halakha des Juges « en ces jours » [1]. Rashi répond là-bas d'après Rosh Hashana 25b : « Tu dois lui obéir même s'il n'atteint pas les compétences de ses prédécesseurs. Seul compte le juge qui t'est contemporain » ;

On comprend dès lors qu'il faut se garder de dédaigner les Maîtres de notre génération, en prétendant se rappeler le temps où nous étions guidés par des géants...

Une pincée de nostalgie est peut-être permise, mais il reste que nous devons accepter les décisions des Juges de notre temps. C'est la Volonté d'Hashem que la Torah soit accomplie à toute époque. Si chacun voulait consulter Moshé Rabbénou, Hillel, Rabbi Akiva, le Maharal, le Gaon, ou même le Gadol hador, ce serait le chaos ! Il nous faut accepter l'idée que, dans notre système légal, l'érudition, l'intuition, la créativité halakhique ne sont pas également réparties. Nous devons nous satisfaire de la compétence, et non rechercher la grandeur !

On pourrait penser cependant que ce qui vaut pour le Juge ne s'applique pas au Cohen. L'agriculteur qui fait l'effort de monter jusqu'au Beth HaMiqdash (effort si considérable que le traité Qiddoushin nous apprend qu'on avait l'habitude de se lever à son passage dans les rues de Jérusalem !), n'est-il pas en droit d'espérer un charisme, une aura, une puissante inspiration de la part du Cohen ?

Non, répond à nouveau Rashi : « Il n'est pour toi de Cohen que celui qui t'est contemporain, quel qu'il soit ! ».

Considérons de plus près l'événement : le cultivateur apporte au Beth HaMiqdash les premiers fruits de sa récolte. Et face au Cohen, il prononce cette formule, abondamment commentée :

« Je déclare aujourd'hui à Hashem ton D.ieu que je suis venu sur la terre que Hashem a promis de donner à nos Pères. »

On peut lire l'expression « Hashem ton D.ieu » de deux manières. D'une part comme une instruction donnée par D.ieu à celui qui amène les Bikourim. « Ton » D.ieu, signifie alors le D.ieu du Klal Israël. Vous tous, agriculteurs, veillez à apporter vos premiers fruits sur l'Autel du D.ieu d'Israël.

Mais d'autre part, on peut comprendre que cette formulation fait référence à la déclaration qu'il a commencé à prononcer. Alors qu'il tend les fruits au Cohen, il lui fait savoir qu'il prêt à placer le panier devant le Mizbéa'h de « ton » D.ieu, Celui du Cohen. Il n'est pas inhabituel de trouver dans La Torah cette façon de s'exprimer, désignant Hashem comme le D.ieu de la personne à qui l'on s'adresse (Eloqékha) et non Celui des deux (Eloqénou). Par exemple, Shaoul à Shmuel [2]; 'Hizkiyah à Yeshaya [3]...

Mais pourquoi s'exprimer ainsi ? C'est une circonstance où il devrait se sentir particulièrement proche de Hashem ! Il devrait déborder de reconnaissance d'être ainsi en position d'offrir les premiers fruits de la bénédiction que D.ieu lui a envoyée ! À ce moment plus qu'à aucun autre, il devrait dire « Mon » D.ieu !

La gratitude, poursuit le Rah Hirsch, est un thème central des Bikurim. Mais la Torah, avec sa merveilleuse subtilité, tisse un autre motif dans notre Parasha : celui d'un abandon sans réserve... Celui qui bénéficie de la Berakha pourrait aisément se considérer comme bien fondé à la recevoir, et se sentir libre d'en faire ce qu'il veut. En apportant les Bikurim, le propriétaire de la terre écarte ce risque spirituel. Il dit au Cohen : « Les arbres qui ont donné ces fruits ne m'appartiennent pas vraiment. Ils appartiennent à Hashem « ton » D.ieu, qui est « tien » en ce que tu représentes notre peuple.

Ce n'est pas parce qu'Il m'a choisi individuellement qu'Il m'a confié ces fruits, mais parce que j'appartiens au peuple avec qui Il a conclu une Alliance sainte, au temps de nos Patriarches, dont je suis un des fils. Par conséquent, je suis lié par les espérances que Hashem, si l'on peut dire, a fondées sur les descendants d'Abraham. Je ne viens pas ici seulement pour remercier, mais aussi pour affirmer ma volonté de faire de cette Berakha un usage conforme aux attentes du Créateur, D.ieu d'Israël.

La suite de la cérémonie va confirmer cette orientation.

Les deux agissent de concert. Ensemble, ils lèvent le panier et le balancent en toutes directions, comme pour indiquer que, loin d'être réservé à la jouissance égoïste d'un homme ou même d'une famille, les richesses de la terre sont destinées à tous ! C'est la Volonté d'Hashem, représenté par le Cohen.

On comprend dès lors l'affirmation de Rashi : « Il n'est pour toi de Cohen que celui qui t'est contemporain, quel qu'il soit ! »

Le rôle du Cohen est de représenter symboliquement la Volonté divine, du Har Sinaï jusqu'à nos jours. Il doit bien sûr être casher, et suivre scrupuleusement le seder de la Avodah, mais il n'est pas nécessaire qu'il ait le génie d'Aharon !

(Librement adapté de Rabbi Yitzchok Adlerstein - Torah.org)

1. Devarim 17:9.

2. Shmuel I 15:15; 21:30

3. Melachim II 19:4

Mis en ligne le 23 Elloul 5777 - 14 septembre 2017

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