BALAQ 5777
Rav Shimshon Raphael Hirsch : l'échec du plan C..
מַה-טֹּבוּ אֹהָלֶיךָ, יַעֲקֹב; מִשְׁכְּנֹתֶיךָ, יִשְׂרָאֵל
Qu'elles sont belles tes tentes, Ya'aqov, tes demeures,Yisrael !
(Bamidbar 24,5)
Les tentes, les résidences peuvent être solides, belles confortables, commodes, bien conçues... Mais comment peuvent-elles être bonnes ?
Par deux fois, enseigne le Rav Shimshon Raphael Hirsch, Bil'am a tenté de maudire les Juifs. Par deux fois, il a échoué.
Il a d'abord abordé « la question juive » sous l'angle des conditions matérielles, du rapport de forces. Les Bnei Yisrael, « combien de divisions » ?
Il a compris alors, comme on l'a vu l'année passée dans ces colonnes, qu'il n'importe pas du tout que ce peuple soit Ya'aqov, une famille aux dimensions modestes, ou Yisrael, un peuple nombreux et puissant :
הִנֵּה כִסָּה אֶת-עֵין הָאָרֶץ
Voici qu'il couvre l'œil du pays (22,5), a dit Balaq à Bil'am, ce peuple sorti d'Égypte, nombreux et redoutable.
Dans les deux cas, seule compte la mission que Hashem leur a confiée, et dont l'enjeu est cosmique, universel ! Les règles de la géopolitique ne s'appliquent pas... C'est le Créateur lui-même qui a pris sur Lui, si l'on peut dire, d'assurer la survie et le développement du peuple.
Rien à faire de ce côté.
Il s'est donc logiquement tourné vers la dimension spirituelle. Balaq voulait tout savoir de la vie intellectuelle, culturelle, spirituelle d'Israël. Sont-ils dotés de connaissances spéciales ? Peuvent-ils prédire l'avenir, ont-ils accès à des pouvoirs surnaturels ? Peuvent-ils invoquer les forces cachées du cosmos, peut-être grâce à la magie ? Ces méthodes, ces connaissances sont-elles à l'origine de leurs récents et spectaculaires succès, face à la puissance égyptienne, face à Si'hon et Og ?
Des informations sur la source de leur puissance exceptionnelle pourraient fournir un moyen de les vaincre !
Bil'am doit décevoir Balaq une seconde fois...
N'essaie pas d'aller dans cette direction, lui dit-il. Tu ne trouveras pas de défaut à cette cuirasse. C'est D.ieu qui les a bénis, de manière irrévocable. « וּבֵרֵךְ, וְלֹא אֲשִׁיבֶנָּה » (Il a béni et je ne reviendrai pas ; 23,20). Rashi précise : « C'est Lui qui les a bénis, et je ne puis révoquer Sa bénédiction. »
Ne cherche pas une faille que D.ieu Lui-même n'a pas trouvée : « וְלֹא-רָאָה עָמָל בְּיִשְׂרָאֵל » (Rashi précise ici que le mot 'amal signifie « faute » dans ce contexte - 23,21)
Leurs victoires ne sont dues qu'à la seule assistance divine, que D.ieu a promis de leur fournir tout au long de leur histoire.
Certains peuvent donc avoir recours à l'art de la magie pour tenter de modifier leur destinée. Pour Israël, ces méthodes n'ont pas d'objet.
Certains peuvent tenter d'en faire usage pour résoudre leur « problème juif ». Israël, comme le texte l'indique dans un verset magnifique, connaît la Volonté de D.ieu :
כִּי לֹא-נַחַשׁ בְּיַעֲקֹב, וְלֹא-קֶסֶם בְּיִשְׂרָאֵל; כָּעֵת, יֵאָמֵר לְיַעֲקֹב וּלְיִשְׂרָאֵל, מַה-פָּעַל, אֵל
(Il ne faut point de magie à Ya'aqov, point de sortilège à Yisrael: ils apprennent à point nommé, Ya'aqov et Yisrael, ce que D.ieu a résolu. - 23,23)
Et Rashi précise à nouveau : « Ils méritent d'être bénis car ils n'y a chez eux ni devins ni sorciers. »
Pas de devins, ni de sorciers, mais des prophètes par myriades !
Balaq ne renonce pas. L'obstination aveugle est une caractéristique de la haine des Juifs qu'on a très souvent observée dans l'histoire.
Il y a un plan C...
Malgré les bénédictions spirituelles et matérielles dont ils bénéficient, les Juifs sont des êtres humains, faillibles... Ils peuvent trébucher, et tomber...
Et dans l'état de faiblesse que connaît l'homme après la faute, ces bénédictions pourraient n'être d'aucun secours !
Et s'ils cèdent aux tentations de la chair, elles pourraient même se changer en malédictions !
Lors de ses deux premières tentatives, Bil'am avait compris, par sa capacité prophétique, ce qu'il ne pouvait pas observer directement.
Cette fois cependant, il « voit » la vérité. Se faisant l'écho involontaire des paroles mises dans sa bouche, il reçoit une vision beaucoup plus claire :
וַיִּשָּׂא בִלְעָם אֶת-עֵינָיו, וַיַּרְא אֶת-יִשְׂרָאֵל, שֹׁכֵן, לִשְׁבָטָיו; וַתְּהִי עָלָיו, רוּחַ אֱלֹהִים
(En y portant ses regards [vers le désert, où se trouve le camp d'Israël], Bil'am vit Israël, dont les tribus s'y déployaient; et l'esprit divin s'empara de lui; 24,2)
Et c'est ainsi qu'il comprend que les tentes d'Israël sont « bonnes ».
Derrière les parois de chacune d'entre elles, invisibles dans l'intimité de chaque vie, on trouve les mêmes pulsions vitales que le reste de l'humanité. C'est sur ces pulsions que Balaq compte pour faire tomber le 'Am Yisrael. Et en effet, elles comportent un grand potentiel de transgression...
Bil'am voit les tentes, disposées en rangées régulières autour du Mishkan. Elles sont « bonnes », parce qu'elles matérialisent dans leur arrangement l'essence de la morale juive. Chaque famille peut suivre son propre chemin de vie, mais leurs cours respectifs se rejoignent finalement dans l'enseignement du Mishkan et de la Torah.
La vie intime de la famille juive s'élève au dessus de la grossièreté de Péor.
La passion humaine, qui peut conduire l'homme où elle veut, que rien ne semble pouvoir arrêter, se soumet, dans le camp d'Israël, à la Volonté de D.ieu !
La royauté d'Israël, dans la prophétie de Bil'am, est exaltée au dessus de toute autre, par la grâce d'une victoire invisible, accomplie sans tambour ni trompette, derrière les portes closes de toute famille de Torah.
Dans toutes les sociétés civilisées, les humains acceptent jusqu'à un certain point de limiter leurs comportements. Pour l'essentiel, c'est dans le champ des relations avec autrui que ces limitations s'exercent. Le domaine des besoins privés n'est pas soumis à qui ou quoi que ce soit.
Bil'am a vu la place centrale de la famille dans la vie juive, et la source de sa vitalité.
Il a vu que la Torah guide toutes les dimensions de la vie, même ce qui se passe à l'intérieur de la tente.
C'est ce qui les rend « bonnes »...
Inspiré par le Rav Its'haq Adlerstein - Torah.org