EMOR 5778
Valeur de la parole humaine, valeur de l'humanité...
וַיִּקֹּב בֶּן-הָאִשָּׁה הַיִּשְׂרְאֵלִית אֶת-הַשֵּׁם, וַיְקַלֵּל, וַיָּבִיאוּ אֹתוֹ, אֶל-מֹשֶׁה; וְשֵׁם אִמּוֹ שְׁלֹמִית בַּת-דִּבְרִי, לְמַטֵּה-דָן
« Le fils de la femme yisraélite proféra le Nom, il maudit ; ils l'emmenèrent vers Moshé, et le nom de sa mère : Chelomith, fille de Divri, de la tribu de Dan. »
Wayiqra 24,11
Nos Maîtres de mémoire bénie posent de nombreuses questions au sujet de l'épisode à maints égards énigmatique du blasphémateur.
Pourquoi La Torah a-t-elle jugé nécessaire de rapporter cet événement, si peu glorieux ?
On lit que l'homme est « sorti » (Wayetsé), mais, dans le texte, on ne voit pas d'où il est sorti.
Le Midrash nous dit qu'il a tourné en dérision la Mitsva des « pains de proposition ». Pourquoi cette Mitsva en particulier ?
Pourquoi la Torah nous donne-t-elle toutes ces précisions généalogiques ; « le nom de sa mère : Chelomith, fille de Divri, de la tribu de Dan » ?
Rabbenou Bé'hayé répond à la première question en même temps qu'à la dernière : Sans aucun doute, le fait de ne pas révéler cet épisode aurait préservé la Gloire divine de meilleure manière. Mais la Torah a voulu nous faire savoir que celui qui blasphème est un pécheur à part entière. Comment en est-il arrivé là ? Il y avait un défaut dans sa filiation, et partant, dans son éducation, par son père, l'égyptien que Moshé avait tué, et sa mère, la seule qui, au cours de l'esclavage égyptien, ait semble-t-il été infidèle à son mari.
Et d'où cet homme est-il sorti ? Le Sifra répond en citant le verset : « Tu n'insulteras pas des juges (אֱלֹהִים, לֹא תְקַלֵּל; וְנָשִׂיא בְעַמְּךָ, לֹא תָאֹר - Shemot 22,28) : la Torah parle de la nature des choses, car les Rois et les Juges tranchent les affaires civiles et pénales, et ceux que leurs décisions contrarient les insultent couramment. Or ici, il s'agissait de Hashem et de Sa Torah de Vérité. »
Pourquoi cette mitsva parmi tant d'autres ? Il est possible de trouver des motifs logiques à la plupart des Mitsvot, enseigne le Na'hal Eliyahou. Mais l'obligation d'offrir les « pains de proposition » reste inaccessible à notre compréhension, comme le souligne Rambam dans le Moré Nevoukhim (Le Guide des égarés).
Le Rav Munk enseigne au nom de Rabbi Béra'hia que c'est en raillant les commandements de la Torah que l'homme s'est mis sur la voie du mal et s'est laissé entraîner à blasphémer. Il n'a pas compris les règles qui concernent les « pains de proposition », et au lieu de reconnaître son incompétence, il a attribué son incompréhension à l'incohérence du précepte, et s'est moqué des paroles de la Torah.
Le Talmud (Sanhedrin 55b & 60a), examine longuement l'obligation de déchirer ses vêtements lorsqu'on entend un blasphème.
« D'où déduisons-nous que [les juges] déchirent leurs vêtements ? Rabbi Yts'haq bar Ami dit : de ce qu'il est écrit (II Rois 18,37) : « Elyaqim ben 'Hilqiyahou l'intendant du palais, et Shevna le secrétaire, et Yoa'h ben Assaf retournèrent alors près de 'Hizqiyahou [le Roi d'Israël], les vêtements déchirés, et lui rapportèrent les paroles de Ravshaqéh [qui avait blasphémé contre D.ieu] »
Ces trois Tsaddiqim ont déchiré leurs vêtements, après avoir entendu un blasphème. Il est donc évident qu'on doit déchirer ses vêtements lorsqu'on entend une personne blasphémer.
Cette obligation est d'ailleurs assortie d'une interdiction de réparer les déchirures ainsi causées. (Sanhedrin 60a)
Au verset 15, on lit : « un homme, un homme (Ish ish) lorsqu'il maudira son Éloqim, il portera sa faute. » Nos maîtres en déduisent que cela comprend les idolâtres, à qui il est interdit, tout comme à Israël, de maudire Hashem.
On pourrait se demander de quel droit les Juifs prétendent légiférer sur le comportement des nations.
Nous vivons dans cette époque étrange où l'on entend revendiquer un « droit au blasphème » !
La Lumière divine est si lointaine, si bien dissimulée qu'on peut croire permise l'insulte proférée à l'encontre de D.ieu Lui-même, 'has veShalom.
Notre Torah éternelle a préfiguré cette situation dans ses moindres détails : depuis le temps de la Guémara, il n'est plus obligatoire de déchirer ses vêtements lorsqu'on entend un idolâtre blasphémer.
C'est ce qu'enseigne le Sforno : « Le blasphème étant considéré dans certaines nations comme quelque chose d'insignifiant - comme il est dit (Yeshayahou 8,21) ; '[Quand il a faim,] il s'emporte, il maudit son roi et son D.ieu' ; et suivant l'enseignement de nos Sages (Sanhedrin 60a) : « Celui qui entend [le Nom de Hashem] prononcé [de manière insultante] par la bouche d'un paîen n'a pas l'obligation de déchirer [son vêtement] car si tu ne disais pas [que la halakha] est ainsi, tout son habit serait en lambeaux ! »
En vérité, enseigne le Sefer ha'Hinoukh, le blasphème équivaut à l'effacement de l'image de D.ieu dans l'homme. Il transforme l'homme en quelque chose d'inhumain. Par cette parole infamante, il se vide de tout bien, et se rend comparable aux animaux, et même inférieur à eux. C'est par cela même en quoi D.ieu l'a distingué de toute la Création, c'est-à-dire la parole, qu'il s'exclut à présent de l'humanité elle-même.
Voilà pourquoi le message est ici adressé aux nations aussi bien qu'aux Juifs.
Il y a là, en effet, une leçon universelle, au point que le Zohar affirme qu'un idolâtre n'a pas le droit de maudire, non seulement le Créateur de toute chose, mais aussi sa propre divinité, fût-elle une idole de pierre ou de bois !
Mis en ligne le 17 Iyar 5778 (veille de Lag ba'Omer) - 2 mai 2018