Rosh HaShana 5778
Une minuscule lumière
Abraham Avinou, enseigne le Midrash, se tient debout d'un côté du fleuve, et le monde entier de l'autre côté.
Abraham Avinou ne craint pas d'opposer sa vision à celle de l'humanité entière.
Sa vision de la Vérité, de la justice, de ce qui est bon et droit.
Sa vision de l'ordre du monde et du sens de l'existence voulus par un unique Créateur.
Face au roi. Face à son propre père.
Sa lampe semble minuscule. Bientôt pourtant, elle éclairera toute l'humanité !
מעשׂים אבות סיםן לבּנים, enseignent nos Maîtres de mémoire bénie. Ce qui est arrivé à nos Pères nous édifie, nous montre la voie. Il existe un lien mystérieux, une relation intime entre le tissu de leurs existences et la trame de nos vies.
Nous sommes les héritiers de cette intense profondeur d'être qui permit à Abraham de soutenir sa vision, envers et contre tout.
En chacun de nous réside cette force, ce potentiel. Et c'est à quoi nous appelle la puissante vibration du Shofar, qui résonne en notre âme, appelle à une vie saturée de sens au milieu d'un monde sans loi, et l'éveille au sublime impératif du Service divin.
Elloul 5704.
Reb Wolf Fischelberg et son fils Moïshélé, douze ans, marchent entre les baraques de la partie dite « privilégiée » du camp de Bergen-Belsen. Ils cherchent à échanger quelques cigarettes contre du pain. Alors qu'ils longent la clôture de barbelés qui sépare leur secteur du reste du camp, une petite pierre tombe aux pieds du garçon. Le petit Moïshélé interroge son père du regard. Faut-il la ramasser ? Il a appris qu'ici, chaque geste, même le plus anodin, peut représenter un danger mortel.
Reb Fischelberg regarde autour de lui, et ne voyant rien d'inquiétant, se penche pour ramasser la pierre. Elle est enveloppée d'un morceau de papier gris. C'est une note, rédigée en Hébreu. Reb Wolf la met dans sa poche. Avec son fils, ils se rend dans la baraque où ils vivent entassés avec d'autres détenus, Juifs polonais comme eux. Dans un coin, aussi discrètement que possible, il lit le message. Il est écrit par un Juif hollandais qui s'appelle 'Haïm Borack et fait savoir qu'il a pu obtenir et garder un shofar ! Si les Juifs polonais veulent l'utiliser pour les offices de Rosh HaShana, il se dit prêt à le leur faire passer, dissimulé dans la gamelle d'ersatz de café qui leur est distribuée le matin.
Reb Wolf décide d'informer ses compagnons de captivité. Que faut-il faire ? On procède à un vote. Une majorité nette des juifs polonais se déclare disposée à prendre le risque de faire venir clandestinement l'instrument. Par le même moyen d'un message attaché à une pierre, on le fait savoir au Hollandais.
Le matin de Rosh HaShana, le transfert a lieu avec succès, sans que les Allemands ni les kapos ne repèrent le manège, et sans que le shofar soit endommagé dans l'opération. C'est déjà un miracle !
Mais un problème se pose alors. En principe, pour que la mitsvah soit accomplie, la Halakha exige que chacune des personnes présentes entende distinctement la voix du shofar. D'un autre côté, si le son parvient jusqu'à des oreilles allemandes, c'est sur leur vie que tous répondront de ce que les nazis, dans leur hideuse logique, considéreront comme un crime !
Une discussion animée se prolonge parmi les plus érudits de la baraque. Il s'agit de savoir si l'on peut s'acquitter comme il le faut de la mitsvah, dans le cas où le son du shofar ne peut être clairement entendu par tous.
En l'absence de sefarim, on s'appuie sur le souvenir, et on cite de mémoire les précédents rapportés par différentes sources saintes.
Et l'on finit par décider de souffler doucement dans l'instrument. Il est plus important de sauvegarder des vies.
Au moment de porter le shofar à sa bouche, Reb Fischelberg prie Hashem d'en accepter les sons étouffés, avec les prières de Ses enfants si durement éprouvés, comme Il a accepté les prières d'Itz'haq sur le mont Moriah.
Blotti contre sa jambe, le petit Moïshélé écoute, concentré, espérant que la vibration de la corne de bélier provoquera l'effondrement des clôtures de barbelés du camp, comme les trompettes de Yéhoshoua ont abattu les murailles de Jéricho.
Mais lorsque l'office se termine, il ne s'est rien passé de tel.
Et pourtant, quelque chose a changé. Du sein de la détresse amère, le son étouffé du shofar a ouvert une brèche dans le mur de souffrance et d'humiliation qu'ont construit les nazis (que leurs noms soient effacés). Une étincelle, la pâle et vacillante lumière d'une petite lampe, d'une promesse de liberté.
C'est une lampe minuscule.
Bientôt et de nos jours, dans les pas de Mashia'h, elle éclairera le monde entier !
Shana Tova oumtouka kadvash !
(D'après un récit de Rabbi Yehudah Prero - Torah.org)
Mis en ligne le 23 Elloul 5777 - 14 septembre 2017