KI TISSA 5778

Les dénombrés de D.ieu

זֶה יִתְּנוּ, כָּל-הָעֹבֵר עַל-הַפְּקֻדִים--מַחֲצִית הַשֶּׁקֶל, בְּשֶׁקֶל הַקֹּדֶשׁ

«Voici ce qu'ils devront donner, quiconque passe au nombre des dénombrés : la moitié d'un sheqel selon le poids du Sanctuaire»

Shemot 30,13

Le Rav Shimshon Raphaël Hirsch fait observer que le mot « רֹאשׁ » dont le sens premier est « tête », signifie également « somme totale » dans des expressions comme « וְשִׁלַּם אֹתוֹ בְּרֹאשׁוֹ - il le paiera avec le principal » (Wayiqra 5,24). De même que la tête centralise et rassemble tous les membres et toutes les fonctions du corps, le terme évoque toute notion de rassemblement.

Le mot « פְּקֻדִים - les dénombrés » contient quant à lui l'idée d'établir un objet dans son cadre, de lui conférer ses attributs ; d'où les significations de penser, installer dans une fonction, compter.

Le dénombrement est donc l'opération qui permet d'affirmer l'inclusion des objets comptés dans une même catégorie. Chaque élément, quelles que soient les caractéristiques personnelles qui le distinguent des autres, est une partie d'un ensemble unique.

Ainsi, l'expression « פּקודי בְּנֵי יִשְׂרָאֵל » affirme l'appartenance de chaque Ben Israël au compte de ceux qui peuvent être appelés et s'appeler eux-mêmes « Enfants d'Israël », chacun étant alors conscient « d'incarner en sa personne le concept de sa nation ».

Cette dialectique du tout et de chaque partie est une dimension essentielle de la vie juive.

Chaque-un est irremplaçable, dans la mesure même où il s'identifie à l'ensemble.

Certes, ce dénombrement n'est pas le premier, et Rashi, citant le Midrash, fait observer qu'il s'agit là d'une manifestation de l'amour que Hashem éprouve pour le 'Am Israël (Shemot 1,1).

Mais le décompte de notre Parasha présente une différence notable. Les dénombrés ne sont pas seulement les objets du recensement, ils doivent en être les acteurs ! C'est que, poursuit le Rav Hirsch, « Le Nefesh, la personnalité de l'individu n'a pas de valeur ou de signification en soi par sa simple existence, et ne constitue pas une partie intégrante de la Nation. C'est uniquement par le don de soi et par une action effective qu'il est dénombré, et qu'il acquiert le droit de poursuivre son existence. C'est en prenant part activement au Service divin qu'il peut prétendre à une place légitime parmi ceux auxquels D.ieu accorde une existence méritée au sein de Sa Nation. »

D'où la fin du verset 12, lourde d'une menace explicite : « וְלֹא-יִהְיֶה בָהֶם נֶגֶף, בִּפְקֹד אֹתָם - Ainsi, il n'y aura pas de décès parmi eux du fait qu'on les dénombre. »

Et cependant, quel homme peut prétendre que « ses réalisations égalent ses devoirs » ? Qui peut affirmer qu'il est entièrement fidèle à cette sublime ambition, et peut « revendiquer son plein droit à l'existence » ?

C'est pourquoi la Torah continue : « זֶה יִתְּנוּ - Voici ce qu'ils devront donner ».

Hashem ne demande pas d'amener ici ses mérites personnels, qui sont généralement dérisoires. Celui qui est « הָעֹבֵר עַל-הַפְּקֻדִים - qui passe au nombre des dénombrés » doit souscrire un engagement à prendre part à la vie de la Nation, à partager son destin, à accomplir la volonté de Celui qui nous a sortis de l'esclavage de l'Égypte dans ce but précis : constituer le Peuple qui, comme aucun autre, représentera l'idéal du Service divin.

« Il n'existe pas de plus grande noblesse, écrit encore le Rav Hirsch, ni de plus haute félicité que d'appartenir au nombre des 'פּקודי ׳ה', de ceux qui sont dénombrés pour et par D.ieu »

Comment cet engagement doit-il être concrétisé, symboliquement ? Par le versement d'un demi-sheqel. Ce montant, enseigne le Rav Shelomo Alkabetz, marque l'existence d'Israël en tant que collectivité solidaire. Personne ne peut prétendre vivre dans une île. Chaque Juif est représenté par une moitié, qui ne peut se réaliser sans être reliée à autrui, à un tout.

Ce « tout » n'est d'ailleurs pas exigé de l'individu : "לֹא עָלֶיךָ הַמְּלָאכָה לִגְמֹר - Il ne t'appartient pas d'achever le travail », enseigne Rabbi Tarfon (Pirqéi Avot, 2,16).

Il s'agit d'une contribution, nécessairement partielle, et pesée sur la balance du Mishqan, c'est-à-dire empreinte de la Sainteté de la Présence divine au sein d'Israël.

Cette contribution, enfin, bien qu'elle ne soit qu'une fraction du tout, n'est pas facultative. S'il est dit en effet « לֹא עָלֶיךָ הַמְּלָאכָה לִגְמֹר - Il ne t'appartient pas d'achever le travail », il est également dit : « וְלֹא אַתָּה בֶן חוֹרִין לִבָּטֵל מִמֶּנָּה - Mais tu n'as pas la liberté de t'y soustraire ».

La contribution que nous versons de nos jours n'est plus que le souvenir de l'antique Ma'hatzit hasheqel.

Il nous est néanmoins possible de lui conférer une Qédousha, en y associant l'engagement de participer, par l'accomplissement de la Torah et des Mitsvot, à la glorieuse destinée du Peuple juif, et de hâter la très prochaine rédemption finale.

Mis en ligne le 12 Adar 5778 - 26 février 2018

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