LEKH LEKHA 5778

« Voir » D.ieu

וַיֵּרָא יְהוָה אֶל־אַבְרָם וַיֹּאמֶר לְזַרְעֲךָ אֶתֵּן אֶת־הָאָרֶץ הַזֹּאת וַיִּבֶן שָׁם מִזְבֵּחַ לַיהוָה הַנִּרְאֶה אֵלָיו׃

Apparut Hashem à Avram, Il dit : À ta descendance Je donnerai ce pays-ci. Il bâtit là un autel à Hashem qui lui [était] apparu.

(Bereshit 12,7)

C'est la première fois que la Torah mentionne une « apparition » de Hashem à Abraham. Le Keli Yakar en explique la raison : D.ieu ne se manifeste pas de manière prophétique en dehors de la Terre d'Israël. L'ordre donné à 'Haran a donc été entendu, mais non vu.

Mais que signifie précisément le terme « apparu », s'agissant de D.ieu qui n'a pas de forme perceptible par nos sens ?

Bien qu'il soit assez difficile d'imaginer ce qui se passe lorsque D.ieu s'adresse à un être humain, c'est une idée qui nous reste accessible. La « parole » de Hashem n'est pas semblable à la nôtre, mais on peut saisir quelque chose du message reçu par le Prophète.

Il n'en va pas de même, explique le Meshekh 'Hokhma, lorsqu'il est question de « voir » D.ieu, parce qu'aucune représentation, quelle qu'elle soit, ne saurait Lui être adéquate !

Un verset de Iyov va accroître notre perplexité : וּמִבְּשָׂרִי אֶחֱזֶה אֱלוֹהַּ (Depuis ma chair, je contemple mon D.ieu - Iyov 19,26).

Le Meshekh 'Hokhma pose en principe que l'âme, qui est une intelligence spirituelle, saisit la réalité de l'existence divine. Elle n'est pas seulement consciente de Son existence, mais elle discerne également quelque chose de Sa nature. Par exemple, elle conçoit qu'Il doit être honoré, et pourquoi Il doit l'être.

Pourquoi notre moi conscient n'a-t-il pas accès à cette claire vision ? Parce que que nous ne sommes pas des âmes désincarnées. Notre neshama est liée à un corps, dont la réalité matérielle nous sépare de notre Père céleste, Qui est entièrement spirituel.

Est-il possible ce compenser ce handicap ? Certainement ! La Torah, qui purifie et raffine notre substance physique, agit de telle manière que cette matérialité interfère moins dans la relation avec Hashem. C'est cette idée que 'Hazal avaient à l'esprit lorsqu'ils enseignèrent (Berakhot 32b) : « Du jour ou le Beth haMiqdash fut détruit, une barrière de fer sépare Israël de leur Père qui est dans les Cieux ».

On pourrait penser que la Torah agit comme un correctif, et ne fait que restaurer la sensibilité qui était celle de notre neshama avant qu'elle ne soit liée à un corps physique. La Torah, dans cette perspective, raffinerait la dimension physique, en sorte qu'elle exerce moins d'influence sur notre perception de la présence spirituelle de Hashem.

Mais en vérité, la Torah peut faire bien davantage : elle nous permet d'appréhender plus que l'essence purement spirituelle de l'âme ne peut concevoir. En fait, la Torah est un outil pour ôter un à un les voiles qui forment un obstacle entre notre âme et Hashem. Plus que cela, elle ressemble à un instrument d'optique, qui fait percevoir mille fois plus de détails que l'œil ne le permet. Elle est donc plus qu'un simple correctif : elle transforme notre existence physique en une loupe, grâce à laquelle les yeux de notre âme peuvent "voir" plus que dans leur état naturel.

Retournons au verset de Iyov : "Depuis ma chair je contemple mon D.ieu".

Le verbe utilisé ici n'est pas er'eh, qui signifie voir dans le sens habituel, mais é'hezeh, qui est lié à la notion de ´hizayon, une vision qui dépasse les capacités ordinaires de l'homme. Grâce à la Torah, un homme affine son âme elle-même en un instrument de précision capable de percevoir son Créateur.

On apprend que le serpent des origines, ou l'animal marin de Yona ont « entendu » Hashem. Les animaux peuvent réagir à la Volonté de D.ieu. Il n'y a rien de spécialement prophétique en cela. C'est une part de leur nature. Mais on n'entendra jamais parler d'un animal à qui Hashem soit apparu ! Cette expérience est réservée aux neshamot humaines.

Avant la faute, l'être physique d'Adam harishon était d'une nature particulièrement élevée et raffinée. C'est pour cela qu'aucun vêtement ne lui était nécessaire. Mais après qu'il eut mangé de l'arbre de la connaissance, sa dimension physique devint épaisse et grossière. Elle s'interposa entre lui et son Créateur. Elle fit apparaître des tendances et des comportements qui accentuèrent la séparation : le désir, la colère, la rancune, les errances de l'imagination et de la passion... C'est sans doute ce que nos Maîtres de mémoire bénie ont voulu dire lorsqu'ils ont enseigné (Eruvin 18b) : « Cent trente ans après la naissance de Qayine et Hevel, le premier couple amena dans le monde une descendance d'esprits et de demons. »

Dans cet état modifié, Adam et ´Hava perdirent la vision claire qui était la leur auparavant. Alors, ils ne pouvaient plus qu'entendre D.ieu : וַיִּשְׁמְע֞וּ אֶת־ק֨וֹל יְהֹוָ֧ה (Bereshit 3,8), mais ils ne pouvaient plus le voir. À partir de ce moment, et pour une longue période, on entendit plus parler de qui que ce soit qui ait « vu » D.ieu. Jusqu'à ce qu'Abraham arrive en Eretz Kenaan, ayant raffiné et élevé sa dimension physique, et atteint le niveau d'Adam avant la faute.

La Parasha suivante commence par ces mots : וַיֵּרָ֤א אֵלָיו֙ יְהֹוָ֔ה (Hashem apparut à Abraham... - Bereshit 18,1).

Cela signifie qu'avant qu'ait lieu la « conversation », Abraham éprouvait une perception de Hashem telle qu'il n'en avait pas connue jusque là. Abraham jugea l'événement si important qu'il se sentit le devoir de marquer l'occasion en érigeant un autel à « Hashem, Qui lui était apparu. »

À partir de ce moment, d'autres personnalités feront l'expérience de cette « vision ». De fait, chacun des Avot méritera de connaître cette relation d'une intensité exceptionnelle. Cette clarté de vision fait partie de leur héritage jusqu'à nos jours.

Et même si nous sommes très loin de la dimension de ces géants, sachons que nous, la descendance d'Abraham à qui « Je donnerai ce pays-ci », sommes appelés, par l'étude assidue de la Torah, à faire l'expérience, fut-ce à un modeste niveau, d'une vision spirituelle de D.ieu !

Adapté du Meshekh 'Hokhma, Lekh Lekha 12,7 - Torah.org

Mis en ligne le 5 'Heshvan 5778 (25 octobre 2017)