MIQETS 5778
Rétablir le lien fraternel
וַיִּזְכֹּר יוֹסֵף-אֵת הַחֲלֹמוֹת, אֲשֶׁר חָלַם לָהֶם; וַיֹּאמֶר אֲלֵהֶם מְרַגְּלִים אַתֶּם, לִרְאוֹת אֶת-עֶרְוַת הָאָרֶץ בָּאתֶם
« Yossef se souvint des rêves qu'il rêva à leur sujet. Il leur dit : Vous êtes des espions, [c'est] pour voir la nudité du pays que vous êtes venus. »
Bereshit 42,9.
On serait tenté, suggère le Rav Shimshon Raphael Hirsch ZL, de souffler à l'oreille de Yossef : « Tes rêves n'ont de sens que de leur origine divine. Hashem n'a que faire de ton aide pour les réaliser, surtout si tu dois pour cela faire souffrir tes frères ! D.ieu dispose de tous les moyens qu'Il veut pour plier les événements à Sa Volonté ! Ne t'en mêle pas !»
Dans l'histoire enchevêtrée des retrouvailles, répond le Rav Hirsch, les rêves de Yossef jouèrent, un rôle essentiel pour lui-même comme pour ses frères. Et la manière dont il conduisit toute l'affaire témoigne de la grandeur et de la subtilité de son intelligence exceptionnelle.
Il avait à « s'en mêler »...
Il aurait pu, en effet, se faire connaître à ses frères, qui, avec un peu de temps, se seraient remis du choc. Il aurait alors envoyé chercher Ya'aqov, et installé toute la famille, pour une vie confortable de propriétaires terriens, dans la riche province de Goshen.
Les apparences, cependant, auraient été trompeuses, et la réalité des relations et des interactions familiales aurait été dissimulée. Les frères auraient continué à se méfier de Yossef et à le craindre, comme au temps de sa jeunesse, alors que leurs soupçons étaient bien moins fondés. Maintenant qu'il était le Vice-roi d'Égypte, sa position lui permettait de régner sur eux, et de compromettre encore davantage le projet de construction du Peuple d'Israël.
Pour Yossef lui-même, les choses n'auraient guère été plus plaisantes. Un simple bonjour alimenterait le doute : leur amitié est-elle sincère ? Est-ce qu'ils me méprisent secrètement ? Projettent-ils de finir ce qu'ils ont commencé il y a vingt ans ?
Certes, la famille serait réunie. Mais de quel genre de famille s'agirait-il ?
Yossef voulait que soient rétablis les sentiments d'amour et de confiance mutuels.
Pour qu'advienne un tel renversement, il savait que deux choses devaient changer. Il se rappelait la crainte et la haine que ses rêves avaient suscitées. Cette blessure devait être refermée. Il devait les voir autrement que dans l'atroce souvenir de ses frères penchés sur la fosse infecte dans laquelle ils l'avaient jeté, indifférents au chagrin qu'ils allaient causer à leur père.
De leur côté, les frères devaient le voir autrement que comme l'usurpateur assoiffé de pouvoir que ses rêves mettaient en scène, et qui menaçait non seulement leur propre sécurité, mais aussi le projet même du 'Am Israël.
Yossef s'attela à la tâche.
Il devinait qu'au fil du temps, ses frères avaient pu revenir sur certains de leurs comportements. Il espérait qu'ils avaient créé entre eux un puissant lien fraternel. Comment pouvait-il s'assurer qu'il en était bien ainsi ?
Il leur donna l'occasion de sacrifier l'un d'entre eux au bénéfice des autres, bien meilleure que lorsqu'il était lui-même perçu comme une menace. Il observerait leurs comportements. Face à la menace d'emprisonnement et à la souffrance de leurs familles affamées en Kéna'an, feraient-ils le même froid calcul qu'autrefois ? Abandonneraient-ils purement et simplement l'un des leurs ? Il les mit donc à l'épreuve, en piégeant Binyamin, et put ainsi se rassurer : ses frères avaient changé. Ils étaient prêts à risquer leurs propres vies pour Binyamin, plutôt que de l'abandonner aux mains d'un souverain brutal.
Il avait également un plan pour modifier l'idée qu'ils se faisaient de lui et de ses rêves.
Ils se représentaient Yossef comme un usurpateur, prétendant à une souveraineté illégitime sur ses frères et même son propre père.
Vint le moment où son pouvoir n'était plus une rêverie, mais une réalité soutenue par la puissante monarchie égyptienne. Vint le moment où ses frères se trouvaient dans une position telle qu'il lui aurait été facile, s'il l'avait voulu, de les anéantir avec un motif légitime. Vint le moment où il apparut avec une grande lumière que son cœur était avec eux, et qu'il n'avait aucune intention d'user de son pouvoir pour leur nuire, selon leur interprétation de ses rêves, mais au contraire pour le bien de tous.
En mettant en scène avec maestria les péripéties de cette histoire, Yossef montra non seulement qu'il était un homme d'état accompli et un habile diplomate, mais aussi qu'il possédait, selon l'expression de Shelomo haMelekh, « un cœur intelligent ».
Il mit un terme à l'erreur essentielle de ses frères : son rôle dans la fondation du Peuple et dans la préservation de l'héritage d'Abraham, qu'ils avaient cru destructeur, fut au contraire capital !
Et sa leçon traverse jusqu'à nous des millénaires d'histoire juive : le Peuple de D.ieu ne se construit qu'à la condition de préserver le lien fraternel qui unit les fils de Ya'aqov, ou de le rétablir s'il a été brisé.
D'après le Rav Itzhaq Adlerstein - Torah.org
Mis en ligne le 23 Kislev 5778 - 11 décembre 2017