2.14
Le Service de l'âme, la prière pour s'attacher à HaShem.
<- Page précédente Page suivante ->
L'explication du verset cité au début de nos paroles : « le servant [de tout votre cœur] et de toute votre âme - נַפְשְׁכֶם »1 indique que le service de la prière doit se faire avec le Néfesh.
C'est un concept formidable pour ceux qui savent et comprennent tant soit peu.
Plus une personne s'impose de prier à ce niveau [de toute son âme], comme on l'expliquera avec l'aide de HaShem, plus elle « ajoute de la pureté à la pureté. (2) »
On trouve de nombreuses occurrences dans la Torah et les paroles des Ḥakhamim où la prière est appelée du nom de Néfesh.
Des versets qui concernent la prière de Ḥannah, on apprend nombre de lois importantes qui posent les principes de la prière (3). À son sujet il est écrit : « [Ḥannah répondit: "Non, Seigneur, je ne suis qu'une femme au cœur navré ; je n'ai bu ni vin ni liqueur forte,] j'épancherai seulement mon âme (נַפְשִׁי) devant HaShem.'' (4) »
« Bénis, mon âme, HaShem ! (5) »
« Mon âme, célèbre HaShem ! (6) »
« Deux entrèrent dans une maison de prière ; l'un des deux termina sa prière avant l'autre. Il n'attendit pas son ami et s'en alla. [On dit de lui que] sa prière lui fut jetée au visage, comme il est écrit : ''toi, qui te déchires toi-même (נַפְשׁוֹ) dans ta fureur'' (7) »
Rashi explique : « C'est à toi que je parle, celui qui détruit son Néfesh dans sa colère. Qu'est-ce que le Néfesh [dans ce contexte] ? C'est la prière, comme il est écrit : ''j'épancherai seulement mon âme (נַפְשִׁי) devant HaShem.'' »
L'idée sous-tendue, c'est que la prière remplace le service des sacrifices (8).
Par conséquent, de même que le but du sacrifice était d'élever le Néfesh de l'animal vers le Ciel, que la principale réparation était accomplie par l'aspersion du « sang qui est le Néfesh (9) », et que l'intention d'offrir les entrailles de la bête avait également pour objet l'élévation de son Néfesh, de même, le but principal de la prière est d'élever, de consacrer et d'attacher son Néfesh à HaShem Yitbarakh Shémo (10).
La faculté de parler d'un être humain est appelée Néfesh, comme il est écrit : « Et l'homme fut une âme (נֶפֶשׁ) vivante (11) » que Onqélos traduit par « un esprit parlant » :
[Un esprit :] Il est manifeste que chaque parole prononcée par une personne est accompagnée de l'esprit et du souffle qui sortent de sa bouche.
[Parlant:] La parole est une part essentielle du Néfesh d'une personne (12). C'est ce qui le différencie des animaux (13). Chaque parole prononcée est une part du Néfesh et en reçoit sa force.
C'est pourquoi, lorsqu'on se tient en prière devant HaShem, on doit s'efforcer de détacher son corps de son Néfesh (14).
Cela signifie chasser toutes les pensées flottantes liées aux forces corporelles qui sont attachées et gravées dans le Néfesh, de sorte que la prière ne vienne que du Néfesh, et d'une volonté élevée.
Cela nécessite [une préparation], avant de s'engager dans la prière, de manière à annuler et se débarrasser de toute pensée de désirs corporels, de bénéfice du monde et tout ce qui s'y rattache, au point d'être capable de mépriser le corps [physique], comme si l'on ne possédait plus de corps, et que seul le Néfesh s'exprimait dans la prière (15).
L'acte d'articuler chaque mot, pour exprimer une part de son Néfesh provoque littéralement un grand désir de se consacrer entièrement à l'épanchement de son âme, de l'attacher à la racine supérieure des mots de la prière, qui se tiennent au plus haut sommet des mondes.
Comme l'écrit le Zohar (16) : « Lorsque sa bouche et ses lèvres sont en mouvement, il orientera son cœur, et son désir s'élèvera vers les hauteurs, pour être entièrement unifié avec le secret des secrets, un lieu où se trouvent tous les désirs et toutes les pensées, avec le secret de Eyn Sof.
Il sera alors considéré comme ne faisant plus partie de ce monde, mais comme un des êtres élevés (17) d'En-Haut, de sorte que même après la prière, il lui sera très difficile de ramener ses pensées à des préoccupations mondaines, et il lui semblera qu'il « tombe d'un toit élevé au fond d'une fosse. (18) »
C'est à ce sujet qu'on apprend des anciens Ḥassidim qu'ils s'attardaient une heure supplémentaire après la prière (19). C'est également ce que veut dire le Arizal qui enseigne que l'on doit s'attarder [au niveau] de Moḥin20. C'est également l'idée qui sous-tend l'enseignement des Sages : Celui qui prie doit orienter son cœur vers l'En-Haut (21).
Une personne intensifiera grandement et renforcera son amour pour HaShem, par le moyen de son Néfesh, au point qu'il éprouve une véritable attirance et un désir tel que, lorsqu'il prononcera la parole sainte de n'importe quel mot de la prière, son âme quittera son corps complètement, et s'élèvera pour s'attacher à HaShem, si l'on peut dire.
C'est le sens du verset : « Vous Le servirez […] de tout votre Néfesh » et de la même façon, ce qu'a dit Ḥannah : « J'épancherai mon Néfesh devant HaShem » est également expliqué.
De même peut-on expliquer l'enseignement de Ḥazal : « La prière d'une personne n'est entendue que si elle place son Néfesh BéKhapo (22), » c'est-à-dire qu'on doit se servir de la prière pour élever son Néfesh et l'attacher vers le haut, Khapo signifiant « sa racine » comme il est écrit : «וְכִפָּתוֹ, לֹא רַעֲנָנָה – sa source ne sera pas rafraîchie. (23) »

Ci-dessus : Juifs du Yémen étudiant la Torah.
1 Dévarim – Deutéronome 11,13 : « וּלְעָבְדוֹ, בְּכָל-לְבַבְכֶם, וּבְכָל-נַפְשְׁכֶם. ». Le verset, qui figure au second paragraphe du Shém'a, est cité au début du second Portique. Rabbi Ḥayim y explique que le Service divin peut être effectué avec un cœur entier, mais que pour en comprendre pleinement la signification, qui consiste à servir « de toute son âme - Néfesh », il faut saisir d'abord le concept de Berakha (bénédiction). Ayant examiné ce point nécessaire en détails, il revient à l'explication du Service divin en tant qu'il est accompli « de toute son âme ».
2 Expression empruntée à 'Avodah Zara 75b, où il est question de la purification des ustensiles.
3 Berakhot 31a.
4I Shemouel – I Samuel 1,15 : «תַּעַן חַנָּה וַתֹּאמֶר, לֹא אֲדֹנִי, אִשָּׁה קְשַׁת-רוּחַ אָנֹכִי, וְיַיִן וְשֵׁכָר לֹא שָׁתִיתִי; וָאֶשְׁפֹּךְ אֶת-נַפְשִׁי, לִפְנֵי ה׳».
5 Téhillim – Psaumes 103,1, ainsi que 103,22, 104,1, 104,35 : « בָּרְכִי נַפְשִׁי, אֶת-ה׳».
6 Ibid 146,1 : « הַלְלִי נַפְשִׁי, אֶת-ה׳».
7 Berakhot 5b citant Iyov 18,4 : « טֹרֵף נַפְשׁוֹ, בְּאַפּוֹ ».
8 Rabbi Ḥayim introduit ici une note 33, reproduite en fin de chapitre et intitulée : « La prière et les sacrifices connectent et unifient les mondes avec HaShem. »
9 Dévarim – Deutéronome 12,23.
10 Dans le processus de l'offrande d'un sacrifice, tout se passe comme si l'animal était substitué à la personne fautive. Dans un certain sens, c'est le fauteur lui-même qui aurait du subir toutes les opérations effectuées sur l'animal, et l'expiation est accomplie par la reconnaissance que l'animal sacrifié vient à sa place. C'est pour cela que la concentration sur les éléments de l'offrande, et la manière dont ils correspondent à ce qui aurait dû lui arriver est un moyen de se consacrer complètement à HaShem dans la prière.
11 Béreshit – Genèse 2,7 : « וַיְהִי הָאָדָם, לְנֶפֶשׁ חַיָּה ». Rashi commente : « Et l'homme fut une âme vivante : Les animaux et les bêtes sauvages sont également appelés ''âmes vivantes''. Cependant, celle de l'homme est la plus vivante de toutes, car il s'y ajoute la connaissance et la parole. »
12 HaShem crée constamment par Sa Parole. Parallèlement, nous qui sommes créés à Son image avons le pouvoir de créer par notre Néfesh (voir P1C1).
13 Il y a quatre niveaux de créatures quant au critère de la vie : l'inanimé, le végétal, l'animal et la parole. L'homme se différencie des autres niveaux par son accès à la parole. Il ne s'agit pas seulement de la capacité de communiquer (de nombreux animaux, et même végétaux possèdent cette aptitude), mais c'est la parole en tant qu'elle exprime la pensée abstraite.
14 Rabbi Ḥayim introduit ici une note 34, reproduite en fin de chapitre et intitulée : « Rabbénou Yona : concentration des pensées vers le Créateur et non vers la dimension physique. »
15 On retrouve un tel sentiment exprimé dans l'introduction du Shoulkhan Aroukh sur l'intention dans la prière (Ohr haḤayim 98,1, où le Rama cite Rabbénou Yona. Voir aussi la note 34 ci-dessous)
16 Zohar Wayaqhel cité dans la note 33.
17 « בְּנֵ עֲֲלִיָּה » : littéralement « fils de la montée », hommes de très haut niveau spirituel, âmes élevées, ou, dans un contexte kabbalistique : « initiés au degré supérieur ».
18 Citation stylistique de Ḥaguiga 5b.
19 Berakhot 32b.
20 C'est-à-dire la connexion intellectuelle à HaShem en passant par Ḥokhma, Bina et Da'at. Ce texte du Pri Èts Ḥayim est cité en note 9 (chapitre 13.)
21 Yévamot 105b. Comme on l'a expliqué (P2C1 note 3) le terme « cœur – לב) désigne en réalité ce que nous appelons « esprit ». Il est clair que, dans notre contexte, Rabbi Ḥayim relie « la prière du cœur » à l'enseignement précédent du Arizal, qui faisait de la prière un processus intellectuel, utilisant les facultés intellectuelles, c'est-à-dire Moḥin.
22 Ta'anit 8a : « אָמַר רַבִּי אַמֵּי: אֵין תְּפִלָּתוֹ שֶׁל אָדָם נִשְׁמַעַת אֶלָּא אִם כֵּן מֵשִׂים נַפְשׁוֹ בְּכַפּוֹ, שֶׁנֶּאֱמַר: ״נִשָּׂא לְבָבֵנוּ אֶל כַּפָּיִם״ »
Rabbi Ami a dit : La prière d'une personne n'est entendue que si elle place son âme dans la paume [de sa main] (בְּכַפּוֹ), c'est-à-dire qu'elle doit soumettre entièrement son âme avec sincérité et les mains étendues lorsqu'elle prie, comme il est écrit : ''Élevons nos cœurs avec nos mains'' (Eikha – Lamentations 3,41)
23 Iyov – Job 15,32. Notez que le Rabbinat diverge complètement de la lecture de Rabbi Ḥayim et traduit : « son toit de feuillage ne reverdira plus ».
