Les motifs de Rabbi Ḥayim
Pourquoi Rabbi Ḥayim de Volozhyn a-t-il écrit et fait publier le Néfesh haḤayim ?
Rabbi Avinoam Fraenkel
La vie est complexe, et nos actes les
plus significatifs sont souvent motivés par un large éventail de
catalyseurs, concourant à des objectifs conscients ou inconscients.
C'est pourquoi, lorsqu'on examine en profondeur le grand-œuvre de
Rabbi
Ḥayim de Volozhyn, le Néfesh haḤayim, c'est un défi
considérable que de tenter d'établir ce qui a pu le pousser à le
composer, et ce qui l'a conduit à donner, sur son lit de mort en
1821, de pressantes instructions à son fils pour qu'il soit publié
de toute urgence (1).
S'agissait-il d'une présentation structurée de l'œuvre capitale du Gaon de Vilna, le Maître vénéré de Rabbi Ḥayim ? Était-ce un manifeste destiné à poser les fondements de la Yéshiva nouvellement créée, et qui devait acquérir une renommée mondiale ? Ou bien une attaque de grand style contre le mouvement ḥassidique, en vue de le ramener dans le droit chemin ? Ou plutôt une opération défensive du « camp mitnagued », pour étayer son opposition au ḥassidisme en proposant son propre cadre conceptuel, et en faisant barrage à ce que beaucoup considéraient comme la marée irrésistible de la philosophie ḥassidique ?
Selon toute vraisemblance, tous ces facteurs, et sans doute bien d'autres, communautaires et personnels, ont joué pour Rabbi Ḥayim un rôle à un degré ou à un autre de son entreprise. Néanmoins, après examen, il semble qu'il existe bien un facteur primordial singulier, qui a influencé de manière décisive la composition du Néfesh haḤayim.
Toutefois, avant d'en venir à ce motif, il est nécessaire de dissiper l'écran de fumée d'une conception fausse, très enracinée, et qui a perduré depuis deux siècles, sur la perception des différences fondamentales entre la foi des Ḥassidim et celle des Mitnagdim. En fait, il apparaît clairement que Rabbi Ḥayim adresse son pressant message aux Juifs de la périphérie du mouvement ḥassidique, et non aux dirigeants du mouvement eux-mêmes. Il estimait que ces Juifs couraient le risque grave de compromettre leur foi en commettant l'erreur d'adopter des pratiques dont le seul objectif était d'accroître leur piété passionnée, et leur désir de se rapprocher à tout prix de HaShem Yitbarakh Shémo, même au prix d'aboutir à des compromis avec la Halakha.
Cet écran de fumée provient des querelles passionnées entre les Ḥassidim et leurs opposants. Ce conflit fut si violent que beaucoup ne savaient plus très bien quel en était l'enjeu. Le terrain était ainsi préparé pour qu'on finît par croire et accepter que le schisme portait sur les principes fondamentaux du Judaïsme. On mit notamment l'accent sur le concept cabalistique de Tsimtsoum, et la question de savoir jusqu'à quel point HaShem Se manifeste dans le monde physique, ce qui aboutit à une conception différente de l'exigence d'équilibre entre le désir de se rapprocher du Créateur et la nécessité de se conformer scrupuleusement à la Halakha.
C'est ainsi que, malgré les nombreuses équivalences entre les enseignements du Néfesh haḤayim, la littérature ḥassidique contemporaine en général, et le Ba'al haTanya en particulier, l'importance fondamentale du message-clé du Néfesh haḤayim adressé à toute la communauté ḥassidique a été profondément mal compris, et par conséquent totalement ignoré, comme si les enseignements du Néfesh haḤayim étaient le fruit d'une vision philosophique essentiellement différente de ce qui était alors perçu par beaucoup, de manière erronée, comme une vision purement ḥassidique de l'Immanence divine.
Il faut observer qu'il ne s'agit pas là d'une simple dimension de l'histoire du Judaïsme, qui ne concernerait que l'époque de Rabbi Ḥayim. Même si l'opposition entre Ḥassidim et Mitnagdim s'est apaisée, et si les deux camps, à quelques notables exceptions près, s'acceptent l'un l'autre de nos jours, il reste que la prévalence du renoncement à la pratique de la Halakha au bénéfice d'un désir de se rapprocher de la Divinité est aussi répandu, par bien des aspects, qu'il ne l'a jamais été. Cette situation produit ses effets dans tout l'éventail des tendances religieuses du Judaïsme. Les moins proches de la tradition peuvent être amenés à considérer des compromis avec la Halakha comme acceptables, s'ils permettent par ailleurs une plus grande proximité avec HaShem. Les Juifs dits « religieux » qui s'imposent souvent des pratiques allant au-delà de la stricte exigence de la Halakha (ḥoumrot), ce qu'ils appellent « Frumkeit », courent le risque de mépriser, de parler et d'agir de manière malveillante, et d'éprouver une haine sans fondement envers ceux qu'ils voient comme moins pieux qu'eux-mêmes, et profanant publiquement la Halakha. Ce phénomène se manifeste dans le pire des cas par des actes ouvertement agressifs, accomplis « au nom de HaShem » par certains Juifs radicaux, qui tentent de faire appliquer ce qu'ils considèrent comme un niveau élevé de piété, alors que ni l'agression, ni la piété supposée ne correspondent même de loin à aucun critère reconnu de la pratique halakhique.
C'est pourquoi le message de Rabbi Ḥayim est aussi nécessaire, pertinent, et pressant de nos jours. Le fait que le Néfesh haḤayim ait été généralement ignoré au cours des deux-cent dernières années a empêché ce message essentiel d'être transmis et assimilé.
Il faut aussi souligner que si la Communauté ḥassidique a ignoré le Néfesh haḤayim, du fait qu'elle percevait généralement son œuvre entière comme philosophiquement opposée à sa propre vision, les Mitnagdim, de leur côté, ne voyaient pas d'un œil favorable l'étude généralisée de la Kabbalah. Certes, dans le mouvement mitnagued, personne n'avait une autorité suffisante pour mettre en question le statut du Néfesh haḤayim en tant qu'œuvre capitale, dont l'étude est obligatoire. Mais nombreux furent ceux qui tentèrent de relire le Néfesh haḤayim, en écartant, voire en niant la dimension kabbalistique de l'œuvre, et la véritable valeur des concepts de la Kabbalah explicitement présentés au lecteur comme un préalable à la bonne compréhension du message. On tenta de faire discrètement passer le texte comme un traité d'éthique, une œuvre de « Moussar », en ne mettant l'accent que sur des morceaux choisis qui n'avaient pas de caractère kabbalistique, et le véritable objet de l'ouvrage fut ainsi complètement manqué (2).
C'est ainsi que du point de vue ḥassidique, comme du point de vue mitnagued, le message incandescent du Néfesh haḤayim, qui est tellement important pour la vie juive contemporaine, a été ignoré, d'une manière si malheureuse et négligente.
L'écran de fumée historique que déploient les divergences fondamentales qui séparent les camps ḥassidiques et mitnagdim a été malheureusement propagé dans le monde juif par des hommes de grande valeur ainsi que par de grands savants. En termes simples, la présentation généralement trompeuse de la différence des conceptions du Tsimtsoum, qui explique pourquoi on ne peut percevoir l'Infinité de HaShem dans ce monde physique et fini, c'est que la vision ḥassidique voit HaShem présent partout et en tout objet physique, mais que Sa Présence est voilée, c'est-à-dire qu'Il est totalement immanent. Le point de vue mitnagued est que HaShem s'est retiré, et qu'Il est absent du monde physique, qu'Il contrôle « à distance » à travers la Providence divine ; autrement dit, HaShem est totalement transcendant.
La version peut-être la plus célèbre de cette malencontreuse présentation des choses se trouve dans une lettre écrite en 1939 par Rabbi Menaḥem Mendel Schneerson, le dernier Rabbi de Loubavitch, qui analyse le concept de Tsimtsoum selon quatre approches, et qui en présente l'image d'un fort contraste entre les visions du Gaon de Vilna, du Ba'al HaTanya (3) et celle de Rabbi Ḥayim (4).
Dans cette lettre, Rabbi Schneerson va jusqu'à affirmer que « La conception de l'auteur du Néfesh haḤayim, que vous mentionnez dans votre lettre, est la troisième parmi celles qui viennent d'être définies. En ce sens, il fut en contradiction avec son maître, le Gaon de Vilna. Il semble, en effet, que Rabbi Ḥayim de Volozhyne ait consulté les ouvrages de la Ḥassidout Ḥabad, en particulier le Tanya, qu'il ait été influencé par cette lecture, bien que ceci ne puisse être établi de manière absolue. »
En contradiction avec les positions tant du Gaon que de Rabbi Ḥayim, Rabbi Schneerson explique la vision ḥassidique selon laquelle le processus du « Tsimtsoum est une image, mais il ne s'exerça que sur [le plus bas niveau de] la Lumière. » [et non sur sa source.]
L'affirmation de Rabbi Schneerson met en lumière une différence fondamentale entre la conception philosophique du monde ḥassidique et celle du Gaon de Vilna, c'est-à-dire du monde mitnagued. Sa suggestion, dont il admet qu'il ne peut l'étayer sur aucune preuve, que Rabbi Ḥayim aurait été tenté d'adhérer au point de vue ḥassidique, s'appuie sur l'utilisation de beaucoup d'éléments de vocabulaire d'apparence ḥassidique qu'on trouve dans le Néfesh haḤayim.
Néanmoins, une étude approfondie des enseignements du Gaon de Vilna, de Rabbi Ḥayim ainsi que du Leshem (5) permet de voir clairement qu'ils sont identiques à ceux du Ba'al HaTanya, et en vérité de ceux du Arizal lui-même ainsi que du Zohar haQadosh [d'où ils proviennent], pour ce qui concerne la notion de Tsimtsoum.
Pour comprendre cela, il est essentiel de ne pas s'attacher d'abord à la terminologie, mais d'évaluer le contenu de chacun de leurs arguments. À première vue, il semble que le Gaon de Vilna et le Leshem expriment un désaccord marqué vis-à-vis de la perspective ḥassidique, et l'on peut se demander si les commentaires acerbes du Ba'al haTanya à cet égard ne sont pas adressés directement au Gaon. Cependant, si l'on examine avec soin ce qu'ils disent réellement sur le cœur du sujet, sans se laisser détourner par ce qu'ils peuvent avoir ou non déclaré les uns sur les autres, on verra qu'en réalité, ils sont tous d'accord !
Le facteur essentiel pour appréhender la substance de chacun de leurs arguments est de comprendre qu'ils voyaient tous que quel que soit le niveau, le champ dans lequel se déploie le processus du Tsimtsoum est exclusivement la Séfira de Malkhout, y compris au niveau le plus élevé qu'on appelle « Eyn Sof. (6) » Malkhout est la Séfira la plus basse de chaque niveau, et se trouve en fait dans une dimension différente du niveau en question. Cela signifie que tout changement dans Malkhout, à n'importe quel niveau, du fait du processus de Tsimtsoum, n'affecte en aucune façon le niveau concerné. Par conséquent, le premier cas de Tsimtsoum qui se produisit dans Malkhout du premier niveau, émanation de l'Essence divine, le « Eyn Sof », n'eut aucun effet d'aucune sorte sur Eyn Sof. Par extension, non seulement le processus du Tsimtsoum ne modifie absolument rien dans Eyn Sof, mais il ne peut opérer non plus le moindre changement dans l'Essence divine.
Ceci posé, il clair que le débat sur la question de savoir si le Tsimtsoum signifie immanence ou transcendance est faussé. Puisque la rétraction du Tsimtsoum ne se produit que dans Malkhout, la transcendance ne s'applique qu'à Malkhout. Par conséquent, tout ce qui est au-dessus de Malkhout, c'est-à-dire l'Essence de HaShem et le Eyn Sof est entièrement et absolument immanent. En d'autres termes, le processus du Tsimtsoum lui-même a pour résultat une double combinaison d'immanence et de transcendance. La dimension immanente ou transcendante est donc une question de perspective. Dans le langage du Néfesh haḤayim, l'immanence est appelée « Mitsido » (de Son côté), le « point de vue » du niveau le plus élevé (et en dernière analyse le « point de vue de D.ieu »), et la transcendance est désignée comme « mitsidénou » (de notre côté), la perspective du niveau le plus bas (et finalement celle des créatures physiques. (7)) Tout argument au sujet des différences entre les niveaux est désormais dépendant du niveau sur lequel la discussion est centrée. Cet aspect est tellement important qu'il est la clé pour comprendre les enseignements du Arizal.
Résumé à grands traits, c'est là le concept de Tsimtsoum commun au Gaon de Vilna, à Rabbi Ḥayim, au Leshem, au Arizal et au Zohar haQaqosh. Chaque fois qu'une de ces sources utilise le terme « rétraction », elle fait référence à un retrait [de la lumière divine qui se produit] au sein de Malkhout seulement, quel que soit le niveau envisagé. Expliquer ces concepts, produire des sources et montrer comment ils peuvent être traduits dans la vie quotidienne dépasse largement le cadre de cet essai. On pourra se référer au texte du Néfesh haḤayim.
Néanmoins, pour aiguiser la curiosité et montrer qu'on peut se concentrer sur l'essentiel de l'argumentation sans se laisser distraire par la seule terminologie, examinons deux sources simples. Le Ba'al haTanya écrit : « ...La nature de Sa Malkhout est la nature du Tsimtsoum et du voilement, qui dissimule la lumière de Eyn Sof. (8) » On n'est pas étonné de retrouver ici l'enseignement de Rabbi Schneerson, c'est-à-dire que le processus du Tsimtsoum ne s'applique initialement qu'au « plus bas niveau de la lumière [de Eyn Sof]. » De son côté, le Leshem écrit : « … Par conséquent, ce lieu au sein duquel le processus du Tsimtsoum prend place est appelé Malkhout de Eyn Sof (…) c'est uniquement en Malkhout de tout [niveau de] révélation, parce que tout Tsimtsoum ne se trouve qu'en Malkhout. (9) »
Par conséquent, à la surprise de beaucoup, le Leshem, ardent défenseur du point de vue Mitnagued et fidèle disciple du Gaon de Vilna est parfaitement d'accord avec le Ba'al haTanya, ainsi qu'avec ce que Rabbi Schneerson présente comme la vision ḥassidique, à savoir que le Tsimtsoum ne se trouve qu'en Malkhout !
Avec tous ces éléments à l'esprit, nous pouvons prendre un peu de recul et concentrer notre attention sur les propos de Rabbi Betsalel Naor (10). Dans un langage éloquent, il « va droit au but » comme il le dit lui-même, et développe ses arguments contre la thèse du Néfesh HaTsimtsoum. Malheureusement, il manque le but, et il est assez surprenant de constater que dans la totalité de son compte-rendu, jamais il ne tente de réfuter ni même ne fait la moindre allusion à l'argument essentiel qu'on a proposé plus haut, et sur lequel le Néfesh HaTsimtsoum met l'accent à de nombreuses reprises, c'est-à-dire que tous les intervenants dans la discussion sont d'accord pour dire que le Tsimtsoum ne se produit que dans Malkhout !
Il semble que Rabbi Naor, à l'instar de nombreuses personnalités de grande envergure avant lui, est malheureusement tombé dans le piège historique classique qui a empoisonné cette controverse depuis des siècles, sur le fondement d'une certaine compréhension du langage utilisé par les différents auteurs, en particulier les termes qui expriment un désaccord avec leurs collègues. Ce faisant, il n'a pas su analyser la véritable substance de leur conception du Tsimtsoum, et n'a pas compris qu'ils sont en réalité d'accord entre eux !
Revenons-en au fil conducteur de notre essai. Au cours de l'histoire, un écran de fumée de division aveugla et induisit en erreur la majorité du public juif à cet égard. Deux facteurs principaux contribuèrent à une telle situation. Tout d'abord, la terminologie utilisée par certains Cabbalistes importants, dont on comprit mal le contexte historique (11). En second lieu, une célèbre lettre contrefaite au nom du Ba'al haTanya, qui explique que l'opinion du Gaon de Vilna vient à l'encontre du point de vue de la Hassidout (12).
En fait, tous n'ont pas été trompés. Le Rav Éliyahou Dessler (13), parmi d'autres personnalités éminentes, comprit que la controverse entre Ḥassidim et Mitnagdim ne portait pas sur les principes fondamentaux du Judaïsme. Au sujet du Tsimtsoum, il écrivit en 1938 que « dans cette génération qui a grand besoin d'unité, il est bon de faire savoir qu'il n'y a pas de divergences d'opinion sur l'essentiel de ces questions. (14) »
Lorsqu'on aura ainsi pleinement accepté le fait que les points de vue philosophiques du Gaon de Vilna, de Rabbi Ḥayim, du Ba'al haTanya et du monde ḥassidique à l'égard du Tsimtsoum sont identiques, on aura une vision plus claire du génie de Rabbi Ḥayim tel qu'il apparaît dans le Néfesh haḤayim. Les ouvrages ḥassidiques de son temps, y compris le Tanya citaient à peine leurs sources (15). En revanche, lorsque Rabbi Ḥayim expose sa pensée et le concept de Tsimtsoum en particulier, des idées qu'on tenait à l'époque pour essentiellement ḥassidiques, il les revêt d'une trame tissée de nombreuses citations et de références issues des sources juives traditionnelles. Comme on l'a souligné plus haut, il se sert d'expressions et de formules semblables à celles qui figurent dans la littérature ḥassidique de son temps. Il démontre ainsi que personne n'est en position de suggérer qu'il existerait une différence fondamentale entre le point de vue du mouvement ḥassidique et celui du courant majoritaire du Judaïsme, et que les voies du Service divin des Ḥassidim et des Mitnagdim sont fondamentalement équivalentes, et proviennent de la même Torah et de la même transmission. Par conséquent, malgré le tableau que certains veulent peindre d'un nouveau mouvement ḥassidique frayant une nouvelle voie pour le Judaïsme, et qui, s'inspirant de la présentation ḥassidique de ces concepts, en viennent à permettre des accommodements avec la Halakha, le message essentiel de Rabbi Ḥayim consiste en ceci qu'il n'y a aucun fondement, pour qui que ce soit, de déformer ces concepts hors de leur véritable contexte, celui du courant principal du Judaïsme. En aucune manière ne peut-on utiliser ces concepts pour autoriser le moindre compromis avec la Halakha.
Il est très intéressant de constater que Rabbi Ḥayim n'a pas été le seul à mettre en lumière le piège potentiel du compromis avec la Halakha lié à la tentative de se rapprocher de HaShem. Certaines figures importantes du Ḥassidisme le rejoignirent sur ce terrain, et s'exprimèrent d'une façon très semblable (16).
D'ailleurs, il est inconcevable que le Ba'al haTanya ait pu approuver, sous quelque forme que ce soit, un compromis avec la Halakha, alors même qu'il est l'auteur d'une œuvre halakhique universellement respectée : le Shoulkhan Aroukh HaRav (17).
Le principe sous-jacent à l'exposé de Rabbi Ḥayim dans le Néfesh haḤayim reflète la position de son Maître le Gaon de Vilna : puisque la Kabbala est une partie intégrante de la Torah, il n'est pas possible qu'on puisse en déduire la prescription d'aucune action qui soit en contradiction avec la Torah. Toute injonction déduite de la Kabbala qui contreviendrait à la Torah ou à la pratique de la Halakha ne peut donc relever que d'une compréhension incorrecte de la Kabbala. D'ailleurs, ce principe a été explicitement rappelé par un certain nombre de Maîtres ḥassidiques, qui s'opposaient aussi clairement au même phénomène de compromis avec la Halakha qui se manifestait à la marge du monde ḥassidique, que celui auquel Rabbi Ḥayim s'opposait.
La conclusion de tout ce qui précède, c'est qu'en dépit du caractère historique de sa motivation, Rabbi Ḥayim nous a laissé une œuvre exceptionnelle, un cadre philosophique stimulant pour comprendre le monde et interagir avec lui. Il appuie chacun des ses enseignements sur les sources juives traditionnelles en général, et en particulier sur la Kabbala. Le résultat, c'est une œuvre extrêmement structurée, qui ouvre une perspective unique sur le monde apparemment peu organisé de la Kabbala. Le Néfesh haḤayim est une extraordinaire voie d'accès à une initiation authentique au monde de la Kabbala, et à la signification profonde de la Torah, accessible au plus grand nombre.
Puisse l'étude du Néfesh haḤayim et de la Torah de Rabbi Ḥayim de Volozhyn amène une véritable conscience et un sentiment profond de l'unité du monde juif.
Seforim Blog, 28 Juin 2016
Ci-dessus, la Yéshiva de Volozhyn
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Notes
1 Comme le consigne Rabbi Yitsḥaq, le fils de Rabbi Ḥayim, dans son introduction au Néfesh haḤayim, qui fut publiée en 1824.
2 La plupart des Yéshivot qui inscrivent l'étude du Nefesh haḤayim dans leur cursus n'étudient que la dernière partie, le quatrième Portique. La plus grande partie des commentaires et des traductions publiées à ce jour omettent le commentaire et même la traduction des aspects kabbalistiques qui forment une grande part du livre. [Avec l'exception de la traduction très complète en langue française proposée par le Professeur Benjamin Gross, publiée en 1986 aux éditions Verdier, avec une préface du philosophe Emmanuel Levinas. NdT.]
3 Rabbi Shnéour Zalman de Lyadi (1745-1813), contemporain du Néfesh haḤayim, et fondateur de la Ḥassidout Ḥabad.
4 Iggerot Kodesh, Volume 1, Lettre 11 (le texte de cette lettre figure sur le site.)
5 Rabbi Shelomo Eliyashiv (1841-1926) auteur du Leshem Shevo V'Aḥlama et d'autres ouvrages de Kabbalah.
6 La définition des termes « Séfira » ou « niveau » n'entre pas dans le cadre de cet article. Disons qu'en termes kabbalistiques un niveau peut être désigné comme un « Monde » ou un « Partsouf » (agencement). Une Séfira est une composante d'un de ces Mondes ou Partsoufim. [Eyn Sof, littéralement « Lumière sans fin », est le niveau le plus élevé, l'essence infinie de HaShem, en pratique inaccessible à l'esprit humain. NdT.]
7 En hébreu respectivement : « מִצִדּוֹ » et « מִצִדֵּנוּ » (NdT.)
8 Sefer HaTanya 2:7 : « שמדת מלכותו היא מדת הצמצום וההסתר להסתיר אור אין סוף ». Je n'ai pas pu retrouver cette référence dans ma version du Tanya.
9 Sefer Hakdamot ouShearim, Shaar 7, Perek 5, Ot 1 : « ולכן נקרא אותו המקום שנתצמצם בו בשם מלכות דאין סוף … הנה הוא הכל בהמלכות של כל גילוי כי כל צמצום הוא רק בהמלכות ». On trouve beaucoup d'enseignements semblables à travers les œuvres du Leshem. Celui-là est particulièrement explicite.
10 Dans son compte-rendu critique de l'ouvrage de Rabbi Avinoam Fraenkel « Nefesh HaTsimtsoum ».
11 En particulier Rabbi Yossef ben Immanuel Irgess and Rabbi Immanuel Ḥai Ricchi. Voir Nefesh HaTzimtzum, Vol. 2, pp. 63-71, pour plus de détails.
12Cette lettre contrefaite figure dans l'édition de 1987 de « Iggerot Kodesh Admour HaZaken », lettre 34, p. 85. [Elle ne figure pas dans l'édition bilingue de 2007. NdT.]
13 Rav Éliyahou Dessler (1892-1953) est un des Maîtres contemporains de l'école du « Moussar » (l'éthique juive et le travail sur les Midot) Il est l'auteur du Mikhtav MéÉliyahou (NdT.)
14 Dans une lettre où le Rav Dessler exprimait son opinion sur le Tsimtsoum. C'est cette position du Rav Dessler qui suscita la réponse de Rabbi Schneerson dans sa lettre de 1939. On trouve la lettre de Rav Dessler partiellement reproduite dans son « Mikhtav MéÉliyahou » Vol 4, p 324, mais il semble qu'elle ait été retirée des éditions récentes.
15 L'édition du Beth Ḥabad de 2007 fait l'objet d'un appareil critique conséquent en français, et cite les nombreuses sources scripturaires et rabbiniques du Ba'al haTanya. (NdT.)
16 Par exemple Rabbi Tzvi Élimelekh Shapira de Dinov, le Bnei Yissakhar, in Derekh Pikudekha, Mitzvah Lo Taasseh 16, Ḥelek Hamaḥshava 4. Également Rabbi Nachman de Bratslav dans Siḥot Moharan, Siman 267. Voir Nefesh HaTzimtzum, Vol. 2, pp. 137-138, note. 217.
17 Cité par exemple fréquemment par le Ḥafets Ḥayim dans son « Mishna Beroura », où il désigne le Ba'al haTanya comme « HaGraz », c'est-à-dire « HaGaon Rabbi Zalman. »