SHEMOT 5778
La haine a ses raisons
« וּבְנֵי
יִשְׂרָאֵל, פָּרוּ
וַיִּשְׁרְצוּ וַיִּרְבּוּ
וַיַּעַצְמוּ-בִּמְאֹד
מְאֹד; וַתִּמָּלֵא
הָאָרֶץ, אֹתָם
(Yossef mourut, et tous ses frères, et toute cette génération-là. Et les fils d'Israël furent prolifiques en naissances multiples, ils devinrent nombreux et forts, et le pays en fut rempli.) » Shemot 1,7
«וַיַּמְרוּ-בִי, וְלֹא אָבוּ לִשְׁמֹעַ אֵלַי--אִישׁ אֶת-שִׁקּוּצֵי עֵינֵיהֶם לֹא הִשְׁלִיכוּ, וְאֶת-גִּלּוּלֵי מִצְרַיִם לֹא עָזָבוּ; וָאֹמַר לִשְׁפֹּךְ חֲמָתִי עֲלֵיהֶם, לְכַלּוֹת אַפִּי בָּהֶם, בְּתוֹךְ, אֶרֶץ מִצְרָיִם
(Mais ils se sont mutinés contre Moi, ils n'ont pas consenti à M'écouter; ils n'ont pas rejeté les abjections dont ils étaient témoins, ils n'ont pas abandonné les idoles de l'Égypte, et Je songeais à épancher Mon courroux sur eux, à assouvir sur eux Ma colère au milieu du pays d'Égypte) » Yeḥezqel 20,8
Les raisons de la haine que les nations vouent au Peuple saint sont une ancienne et lancinante question. On ne peut prétendre y répondre dans ce modeste cadre, mais les commentateurs de notre Parasha peuvent ouvrir quelques sentiers.
En français, le mot raison a deux sens distincts : d'une part le motif qui fait agir un être ; d'autre part la cause profonde d'un événement.
Dans son pénétrant commentaire du Sefer Shemot, le Rav Shimshon Raphaël Hirsch décrit avec précision, étape par étape, les phases de la persécution des Bnei Israël, première manifestation d'un phénomène hélas appelé à se répéter dans l'histoire...
Il constate que le point sur lequel le texte se montre le plus obscur, ce sont précisément les motifs rationnels qui ont poussé le pouvoir, puis le peuple égyptien à s'en prendre à nos saints ancêtres, et le Rav Hirsch ne cache pas sa perplexité.
Il suggère que le terme « וַיָּקָם - Il se leva» indique une prise de pouvoir violente. Ce « melekh ḥadash » serait donc soit un envahisseur non égyptien, soit l'auteur d'un coup d'état, pratique politique largement attestée dans l'histoire de l'Égypte antique (et qui n'a pas non plus cessé...)
L'oppression des Juifs devint donc peut-être « un moyen politique que le nouveau souverain utilisa pour consolider son pouvoir. Il n'y a rien de neuf sous le soleil [...] Chaque fois qu'un souverain veut opprimer un peuple, il livre volontiers un autre peuple sous son joug. »
Mais il reste que les termes « un peuple trop nombreux et trop puissant pour nous » (verset 9) sont difficiles à expliquer, s'agissant de la toute première puissance mondiale de l'époque. Là encore, de Rome à l'Allemagne en passant par l'Espagne, il n'a pas manqué dans l'histoire de nations puissantes et prospères qui ont prétendu que « le plus petit des peuples » constituait pour elles une menace mortelle.
Il est probable qu'une intense et mensongère propagande a précédé les premières mesures, ce que suggère la formule : « Il dit à son peuple ». Cette propagande est d'autant plus nécessaire qu'initialement les égyptiens ne nourrissent pas de haine vis-à-vis des Hébreux, et que Pharaon n'a aucun crime à leur reprocher. Au contraire, le fait qu'il « ait eu à recourir à la raison d'État pour justifier les sanctions envisagées, continue le Rav Hirsch, témoigne du haut comportement social et moral des Juifs ».
Cependant, pour ce qui est des raisons profondes, Le Rav Hirsch cite le Prophète Yeḥezqel (20,7-8), qui « nous apprend que nos Pères n'étaient pas entièrement restés fidèles à D.ieu. Ils avaient permis, dans le domaine spirituel autant que moral, l'introduction de vanités égyptiennes. »
Il note également « l'absence totale de mention d'une quelconque manifestation de l'esprit juif [telle que l'invocation du Nom divin] nous révèle un déclin de l'esprit abrahamique. »
Le Maharil Diskin (Yehoshua Yehuda Leib Diskin 1818-1898) se demande pourquoi il a été annoncé à Abraham (Bereshit 15,13) que sa descendance serait « כִּי-גֵר יִהְיֶה זַרְעֲךָ בְּאֶרֶץ לֹא לָהֶם- étrangère sur une terre qui ne sera pas la sienne ». Par définition, un étranger vit sur une terre qui ne lui appartient pas !
Il faut comprendre que les deux conditions sont nécessaires : dans le pays de Goshen, les Hébreux ont certes résidé comme étrangers, mais cette province, d'après nos Sages, avait été donnée à Sara par Pharaon. Elle leur appartenait donc par héritage, et s'ils y étaient restés, occupés au Service de Hashem et à l'étude de la Torah, ils n'auraient pas été persécutés. Ce fut d'ailleurs le cas de la tribu de Lévi.
Malheureusement, ils ne se sont pas contentés de cela. Après qu'ait disparu « toute cette génération-là », ils commencèrent à nouer des liens plus étroits avec la société égyptienne. Ils s'impliquèrent dans la vie culturelle, sociale, politique.
Il se répandirent en dehors de Goshen, « Et le pays en fut rempli »
C'est alors que put commencer la persécution, « dans un pays qui n'était pas le leur ».
Le Talelei Orot rapporte une interprétation du Beth HaLévi (Rabbi Yosef Dov Soloveitchik 1820-1892), sur le verset de Yirmeyahou (4,30) : « ואתי (וְאַתְּ) שָׁדוּד מַה-תַּעֲשִׂי, כִּי-תִלְבְּשִׁי שָׁנִי כִּי-תַעְדִּי עֲדִי-זָהָב כִּי-תִקְרְעִי בַפּוּךְ עֵינַיִךְ--לַשָּׁוְא, תִּתְיַפִּי: מָאֲסוּ-בָךְ עֹגְבִים, נַפְשֵׁךְ יְבַקֵּשׁוּ. - Et toi, si complètement ruinée, que vas-tu faire ? Tu aurais beau te vêtir de pourpre, te parer de tes bijoux d'or, allonger tes yeux au moyen du fard : vainement tu te ferais belle, les amoureux te dédaignent, c'est à ta vie qu'ils en veulent. »
Il existe deux formes de haine. Une personne peut en haïr une autre parce qu'elle la trouve sale, négligée, bavarde, arrogante... Une telle haine peut prendre fin si la personne haïe modifie son comportement, autrement dit si les raisons de la haine disparaissent.
Mais il y a une autre forme de haine. Celle qui n'a pas de véritable motif rationnel. La seule existence de la personne détestée est perçue comme insupportable.
C'est un cas où il n'y a rien à faire. Aucun effort, aucune pourpre, aucun bijou, aucun fard aux paupières ne fera céder une telle aversion. Ce peut même être le contraire !
Les Juifs, persécutés et détestés de tous côtés, s'imaginent souvent que leurs réalisations dans les sciences, dans la littérature, la musique, la politique les feront mieux accepter. C'est une attitude très courante de nos jours. Et pourtant, c'est le contraire qui est vrai.
Il nous haïssent pour ce que nous sommes, et rien ne dissipera leur haine, sinon le triomphe de Mashiaḥ, bientôt et de nos jours !
Mis en ligne le 15 Tevet 5778 - 2 janvier 2018